Magazine
Conception graphique et webmaster : Pascal Steichen - Rivages Graphiques
Sommaire
n°28 - juillet 2012
INÉDITS1 - 20 % sur le Drive de Pascal Nyiri
2 - Fiel de Janine Teisson
3 - Meurtre délicieux de Sylvie Léonard
4 - Tomate d'antan d'André Gardies
5 - Recettes cruelles de Denise Miège-Simansky
Variation : Dévorations naturelles
6 - Variation : Victime de Françoise Renaud
7 - Variation : La haie d'aubépine d'Anne Bourrel
8 - Variation : Sans croquer de Raymond Alcovère
CHEZ MON LIBRAIRE…
LR livre et lecture, avec 2 textes de Joëlle Wintrebert et de Marie-Célie Agnant - photographies de Sylvie Goussopoulos
CHRONIQUES LIVRES
1 - "Vous ne reprenez pas des cèpes ?" Vingt repas chez Émile Zola par Anne Bourrel
2 - Cannibalisme autour du roman La Route de Cormac McCarthy, par Valéry Meynadier
CHRONIQUE CINÉMA
Éloge du goût de Jean Domon
ENTRETIEN
1 - Avec Jean-Pierre Duval, éditions Romain Pages - par Françoise Renaud
2 - Avec Bernard Cabiron, autour de la cuisine moléculaire - par Caroline Fabre-Rousseau
ARTS PLASTIQUES
1 - Photographie : Barbara Heide
2 - Photographie : Christine Oberlinkels
3 - Dessin : Bertrand Joliet
4 - Peinture : Jacki Maréchal
À PARAÎTRE
Les dernières parutions des auteurs ADA
Prochain numéro : septembre 2012
Appel à textes permanent.
Envoyer vos propositions à contact@autour-des-auteurs.net
Ours
Comité de rédaction : Raymond Alcovère, Anne Bourrel et Françoise RenaudComité de lecture :
Dominique Gauthiez-Rieucau, Valéry Meynadier
Rédactrice en chef :
Françoise Renaud
Directrice de publication : Janine Gdalia
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Index par rubriques
Index par auteurs et artistes
Éditorial
L’enfant expérimente le monde en portant les objets à sa bouche. Il goûte, suce, grignote, ronge, éprouve les matières et les odeurs. S’il s’agit de sable ou de sel, ça crisse sous la dent. Il grimace, accepte d’être surpris. S’il s’agit de pomme ou d’amande, il croque croque.
Croquer, c’est briser l’écorce pour atteindre la pulpe. C’est pénétrer la coque pour découvrir ce qui est caché dedans.
On est assis dans la cuisine à déguster une poignée de radis. Ou bien on sort au jardin et on croque sous l’arbre. On aime tellement ça qu’on y va à pleine mâchoire, on mord, on broie. La langue frétille, les papilles se délectent entre sucré, charnu, charnel.
Une sacrée bonne méthode pour survivre : croquer, porter à sa bouche chaque jour qui passe comme une nourriture nécessaire, comme un fruit.
Cet été, c'est décidé, on ne râlera pas à chaque fois qu’on aura du sable sous la dent ou un vermisseau dans la salade, et on appréciera plus que d'habitude la chair des brugnons blancs.
Illustrations :
Mandarine, photographie de Barbara Heide
À croquer, de Frédérique Azaïs (acrylique sur lin - 100 x 81)
Tomate déstructurée, photographie de Marc Dantan, 2011
Menus plaisirs, de Jacki Maréchal, 2012 (acrylique sur toile, 73 x 60)
Figues, photographie d'André Gardies
Inédits
20 % sur le Drive, de Pascal Nyiri
J’ouvre le premier couvercle, ça bave de sauce rose, j’en mange la moitié, ça fond sur ma langue. Trois frites. Second paquet, trois petits sandwichs, moutarde, olives, mayonnaise ; un doigt de crème de caféine, un œuf dur, sept frites trempées dans le sel. Une rasade d’alcool blanc. J’ouvre le paquet poulet frit à l’huile, je mange chacun des bouts de poulet à la façon dont on pourrait manger une longue saucisse sans fin. La paille rote. Le concombre craque sous la dent. Je froisse la poche et j’ouvre le deuxième colis. Je sors et mets à l’abri mes 33 centilitres de black coffee. Je regarde s’ils ont pensé au sucre. Oui. J’ouvre une boite de salade mixte, j’ajoute la vinaigrette. Je secoue. Ma langue ressent les traces acides et mes dents grignotent les feuilles blanchâtres des pousses de laitue. Je sirote ma crème opaque où se cognent les glaçons. Je mange un gros sandwich au pain de mie avec ses 300 grammes de steak presque cru. Je cherche s’il reste des frites. Je mange les frites qui restent. Je m’essuie les mains et la bouche dans une serviette en papier. Je décapsule le gobelet d’arabica-bouillu, devenu tiède. Je touille cette substance pour y mélanger le glucose de betterave. Je vois qu’il reste un petit pain fromage-salade-raisins. Je termine mon verre d’eau américaine. Je froisse tous les paquets que j’agglutine dans celui qui est le plus gros, et je jette le tout dans la corbeille derrière moi.
Illustration : Dessin original de l'auteur
Fiel, de Janine Teisson
Coût des matières premières, chiffre d’affaire. Ma patronne. Ses yeux gris. Peau très fine. Sûrement. Ses mains, ongles nacrés. Est-ce qu’elle griffe quand… ? Bilan positif. Sa bouche. Champagne. Elle sourit. À notre réussite ! Deux ans dans le même bureau qu’elle sans mettre mes mains sur ses hanches. Sa taille. Sa robe noire. Ses bas puce. Magnifique travail. Son parfum. Changeant au fil des heures. Je travaillerais nuit et jour dans ce parfum. Je me félicite d’avoir écouté vos suggestions. Elle m’a invité au Meurice. D’accord je sors d’une grande école, mais je viens du 93, moi. Et avant ça, du bled. Grâce à votre extraordinaire talent. Le serveur présente la carte. Foie gras ? Pourquoi pas ? Une simple merguez aurait un goût de paradis. Assiette grande comme une patinoire. Petite touffe d’herbes à droite. Salade ? Décoration ? Si elle la mange, je la mange. Reprise de nos exportations à l’étranger. Elle attaque son foie gras. Je fais comme elle. Me concentrer sur l’art de manger chic. Ne pas penser à ses dents, à ses lèvres. Notre filière à Amsterdam. Mais qu’est-ce que c’est que ce truc vert qui sort de l’herbe ? Pensez-vous que nous pourrions sous-traiter ? Ça ondule sur la porcelaine. Une chenille ! Êtes-vous allé aux États Unis ? Oui, à New York. Vendeur de hot-dog. Je ne le dis pas. Mais où va ce ver ? Que doit-on faire dans ce cas-là ? Sa voix grave. Frissons. Les émirats ont bien répondu. Je refoule la bête sous les feuilles dentelées. Pensez-vous, sincèrement, que nous puissions nous y fier ? Sincèrement je pense que cette chenille me casse les couilles. La voilà qui remue sous la végétation comme un diable. Nous garderons le même logo pour l’étranger ? Elle prend une petite fourchetée de feuilles. Ne faut-il pas le rénover ? Je pioche dans les herbes. La satanée chenille se pavane à découvert. J’avais pensé à l’agence Trio… Elle baisse les yeux. Je camoufle la bestiole, l’embroche et l’engloutis prestement. Elle n’a rien vu. Ça gigote sur ma langue. Dans un haut le cœur je broie le tout compulsivement. Nous avons gagné Khalil, puis-je espérer vous voir abandonner cet air préoccupé ? Sûrement une chenille terroriste, bourrée de fiel. Surtout ne pas recracher. J’avale. Vous reprendrez bien un peu de Sancerre ?
Illustration : Jacki Maréchal, Ça crisse sous l'Adam, acrylique sur toile, 65 x 54 cm
Meurtre délicieux, de Sylvie Léonard
D’abord fendre la fleur.
Glisser la lame entre les commissures.
Inciser la peau sous le duvet.
Entailler doucement le cuir.
Sans mordre la chair.
Fissurer la coque sur toute la longueur.
Séparer lentement les deux demi-sphères.
Laisser craquer l’écaille.
Sans déchirer le fruit.
Ouvrir.
Détacher un alvéole.
Oter la pellicule translucide.
Cueillir délicatement un grain de grenat.
Poser l’arille sur le bout de la langue.
Faire glisser entre les dents.
Appuyer légèrement.
Attendre de sentir un petit craquement.
Laisser couler le jus sous la langue.
Peler une surface pleine.
Lisse, brillante, vermeille.
Saisir la grappe avec les lèvres.
Laisser exploser la pulpe dans la bouche.
Fermer les yeux.
Recommencer.
Il y a 400 graines dans une grenade.
Illustration : Lorenzo Lippi, Allégorie de la simulation, vers 1640
Tomate d'antan, d'André Gardies
Les tomates, tu en avais vu parfois sur l’étal de l’épicier, mais tu n’en avais jamais goûté. En ce temps-là, elles ne venaient pas sous le climat montagnard, et pour la petite miséreuse, dont la mauvaise ferme se terrait, là-haut, entre les ruines du château, c’était un fruit inaccessible, véritablement exotique.
La première fois, ce fut le jour du certificat d’études. À la pause de midi, isolée, à l’abri des regards, tu avais sorti du torchon noué, le morceau de lard et la tranche de pain gris qui composait ton repas. C’est le maître qui te l’avait offerte, parce qu’il te fallait des forces pour les épreuves de l’après-midi, avait-il précisé. Au creux de tes mains tu l’avais accueillie : rondeur éclatante et lourde. Luisante et douce. Tiède bientôt de la chaleur de ta paume.
Ensuite, tu as approché le fruit de tes lèvres, hésitant encore à le mordre, retenue par le sacrilège de déchirer une peau si fragile et si lisse. Quand ça a été fait, tu as éprouvé la sensation fraîche du jus qui t’emplissait la bouche, suivi de cette douceur de la pulpe qui se déliait sous les dents, sur la langue. Alors tu as pensé à cette pomme qu’Ève avait croquée après avoir succombé au plaisir de la tentation. La même rondeur lisse et légèrement acidulée, avec au ventre, qui sait, la crainte confuse de la punition.
Plus tard, exilée dans le Midi, tu avais travaillé aux champs. Tes premières corvées ? Remplir à longueur d’heures et de rangées, à douleur de reins, les cageots de tomates, innombrables et sans fin.
C’était aussi ta délivrance puisque tu échappais à la misère du pays rude.
Illustration : Marc Dantan, Tomate déstructurée, photographie, 2011
Recettes cruelles, de Denise Miège-Simansky
Croquer le marmot
Choisissez-le bien tendre et de préférence en bonne santé. S’il a la varicelle, vous pouvez découper en suivant les pointillés, mais ça laisse un goût.
Petits pâtés au crottin de cheval
Très nourrissant à cause de l’avoine, digeste parce que prédigéré et devenu une rareté culinaire très recherchée depuis qu’en ville les chevaux sont en voiture.
Prenez donc un crottin bien frais (on en trouve encore dans certaines épiceries bien approvisionnées ou dans les manèges).
Hachez finement avec de l’échalote et quelques mouches vertes pour la décoration.
Passez au mixeur (ou à la moulinette si vous n’avez pas de mixeur). Ne croyez pas ceux qui vous diront de les passer aux chinois, je connais ces gens-là, ils ne vous les rendraient pas.
Découpez en petits carrés bien réguliers
Dressez sur des toasts de pain de seigle (beurrés ou non au choix) et servez aux invités que vous n’avez plus envie de revoir.
Le crottin de chèvre n’est pas mal non plus, mais ça sent la chèvre.
Soupe de poissons
Prenez trois poissons-scies
Une sirène encore fraîche
Et faites frémir légèrement
Illustration : Gisèle Cazilhac, Picnic (détail), acrylique sur toile, 60 x 50 cm
Variation 'Dévorations naturelles'
Une variation à trois voix. Les auteurs ont écrit à l'aveugle, à partir de la même première phrase.
Victime, de Françoise Renaud
Il avait dû trainer sa victime sur plusieurs dizaines de mètres — on le voyait au sillon dessiné dans le sol détrempé et aux arrachements d'herbe. Le terrain était pentu, accidenté, planté d'arbres et de plantes buissonnantes.
(résille dense des frondaisons ne laissant filtrer qu’une faible lumière, troncs enchevêtrés usés frottés par le passage des bêtes, pourris par l'eau ruisselant depuis les canopées)
Il avait agi à l’instinct, sans hésiter, le cou rentré dans les épaules, misant tout sur sa force. La victime s'était débattue mais il l'avait facilement dominée. Il avait pressé sur sa nuque, puis l’avait tirée vers cet endroit, indifférent à ses râles.
(affleurements de terre collante, presque noire, infiltrée de particules minérales, de brindilles, de débris de fougères, de fragments d’os)
Dressée au milieu du sous-bois, la silhouette géante avait semblé tanguer un instant puis s'était abattue sur le corps avec frénésie. Encore et encore. Les intestins avaient été extirpés, répandus plus loin dans les broussailles. Le géant ne s'était pas soucié de la pluie qui tombait, il grognait.
Des masses vaporeuses divaguaient à travers la haute vallée, ressemblaient à des nuées fantômes sur un fleuve. On n’imaginait pas que le soleil pouvait se faire tranchant certains jours en cet endroit du monde.
(frôlements froissements, couverture végétale saturée d’eau, spongieuse)
Quand il avait délaissé la carcasse du jeune lama, l’ours à lunettes s’était frotté contre les troncs pour y laisser son empreinte et il s’était enfoncé au plus profond de la forêt nébuleuse.
*
La haie d'aubépine, d'Anne Bourrel
Il avait traîné sa victime sur plusieurs dizaines de mètres – on le devinait au sillon dans le sol détrempé et aux arrachements de l’herbe. Caché derrière la haie d’aubépine qui bordait le jardin, on le regardait faire de loin. Il a déposé sa prise sur le seuil de pierre, face à terre, et il a disparu dans le noir du couloir étroit. On connaissait la maison par cœur, on savait où il allait. On en a profité pour changer de poste. On a écarté les branches piquantes de la haie, et on a traversé la cour de la ferme pliés en deux, les jambes en pattes de chat. Pile au moment où il est réapparu, on finissait de se fondre avec les piliers de la grange, à moins de dix pas de lui. Il avait mis ses escarpins bleu électrique, sa perruque blonde et sa robe de Marylin, blanche, serrée et décolletée en haut, plissée à la jupe. Il s’était maquillé copieusement les yeux et la bouche. On l’a entendu chantonner le début de la Marseillaise et puis happy birthday dear president et puis God save the queen et I can’t get no satisfaction, tout mélangés. La victime gisait. Elle n’a pas pu s’empêcher de le regarder, soulevant un peu la tête, et quand elle l’a vu arriver ainsi fagoté, elle a éclaté de rire, elle s’est relevée en époussetant ses vêtements, elle riait de tout son corps, d’un rire de gorge contagieux. En fait, je dis « elle » pour « la » victime mais c’était un grand type maigre qui ressemblait à Mick Jagger sans la bouche. Ils se sont embrassés, collés l’un à l’autre. L’ex-victime a dit, folláme par référence à La loi du désir de Pedro Almodovar qui venait de repasser à la télé et qu’ils avaient regardé ensemble, la veille, on était là aussi, dans leur dos. Ça faisait des jours qu’on était là et qu’on les matait en train de jouer à des tas de trucs bizarres, qu’on les regardait s’embrasser et se tripoter et s’unir. On savait qu’une fois dans leur chambre, on en aurait pour une heure au moins de tranquillité. Alors, on se glissait dans la cuisine pour se bâfrer des restes de leurs repas. Après, on retournait dans la forêt et nous aussi, on baisait.
*
Sans croquer, de Raymond Alcovère
Il avait trainé sa victime sur plusieurs dizaines de mètres – on le devinait au sillon sur le sol détrempé et aux arrachements d’herbes.
La brume s’effilochait sur la montagne. Plus on montait, plus l’humidité était palpable. Halos de vert et de gris, il n’est pas de plus belle harmonie de couleur, se dit-il. La montagne frissonnait. Il la savourait. Ici c’était leur terre. Mais, au fur et à mesure, lui et les siens avaient dû se réfugier sur les sommets pour échapper à la folie meurtrière des hommes.
Il songea qu’en Asie, on dit que les singes pourraient parler mais qu’ils s’en abstiennent pour qu’on ne les oblige pas à travailler. La menace se précisait puisque les humains avaient découvert que l’ADN des gorilles était quasi identique au leur. Ils étaient les êtres vivants les plus proches de l’homme après le bonobo et le chimpanzé. En attendant, il savait bien que ce chasseur-là, qui avait voulu le tuer, était d’une stupidité inouïe. Et il ne le croquerait pas.
Il était végétarien.
Illustrations : Encres de Marie-Lydie Joffre, série du 6 janvier 2004
(encre de Chine et pigments sur papier, 14 x 19 cm)
Chez mon libraire, ce n'est pas plus cher !
Deux nouveaux textes d'auteurs proposés par Languedoc Roussillon livre et lecture : un libraire qui aime cuisiner et des enfants affamés de livres. Issus du projet d'exposition textes et images lancé à l'occasion des trente ans de la loi Lang, ils sont illustrés par la photographe Sylvie Goussopoulos.
Librairie Le Bédéphile, Nîmes – Christophe Robert © Sylvie Goussopoulos
Mon préféré
Olivier, mon libraire préféré, éprouve comme moi un amour dévoyé pour la littérature des marges, ces mauvais genres qui osent faire saigner la plume, fouiller le cœur et l’avenir des hommes, oubliant le plus souvent la convention du réel.
Il ronge les livres jusqu’à l’os, en extrait la moelle, l’assaisonne à son gré. Parfois, nous cuisinons ensemble ; parfois aussi, ce sont d’autres auteurs que cet ogre cuisine, quand ces fous se sont laissé inviter.
En plus de ses talents culinaires, Olivier partage sur la Toile ses dissidentes recettes. Pire, il les publie dans des revues !
Et quand il ne range pas la cuisine — il déteste balayer nos œuvres périssables —, il réussit à s’occuper de sa famille…
J’en jurerais, Olivier, mon libraire préféré, cache sous sa chemise le justaucorps de Superman.
Joëlle Wintrebert
Librairie Cayzac, Marvejols – Roger Cayzac © Sylvie Goussopoulos
Rêver de livres comme on rêve de pain
Ma librairie est une histoire de faim. De celle qui hante les yeux avides d’enfants rencontrés lors d’un séjour en Haïti, il y a trois ans. La ville a pour nom Marigot, l’école est perchée sur la montagne. Au moment de les quitter, après leur avoir parlé de mon métier d’auteur, d’une seule voix ils me disent : « Madame, s’il-vous-plaît, envoyez-nous des livres ! » Ce rêve m’accompagne, avec les voix des enfants et l’espoir dans leur regard. Des livres scolaires, ceux qui leur sont dus tout naturellement pour accompagner leur apprentissage, ils n’en ont pas. Que dire de livres pour vivre et rêver !
Ma librairie rêvée aurait pour la diriger un libraire, de ceux qui aiment les livres pour leur silence, pour tout ce qu’ils disent sans faire de bruit. Mon libraire ignore le sens du mot pilonnage, il ne sait rien des papes ni des mastodontes ni de l’affairisme des rentrées littéraires. Ma librairie n’a ni portes, ni fenêtres, elle est ouverte sur la plage de Marigot, face au vent et à l’océan, ouverte sur le monde car elle s’adresse d’abord aux enfants qui écoutent le bruit du monde et peinent à reconnaître les accents de ce monde qui leur interdit le pain et les livres.
Ma librairie est une histoire de faim.
Marie-Célie Agnant
Prochains rendez-vous :
- Du 2 au 30 juillet : Les Voix de la Méditerranée, Lodève – Inauguration le 16 juillet à 18h30 et rencontre avec Marine Vassort le 18 juillet à 11h30
- Du 2 au 30 juillet : Librairie Un point un trait
- Du 4 au 30 juillet : Médiathèque, Saint-Cyprien – Inauguration le 5 juillet à 19h avec Marion Poirson-Dechonne
Chroniques livres
« Vous ne reprenez pas des cèpes ? »1
Vingt repas chez Émile Zola, par Anne Bourrel
Lorsqu’on se met à table chez Zola, on ne consomme pas seulement des aliments, on se mange les uns les autres… si on ne se mange pas soi-même.
Dans les vingt volumes qui composent Les Rougon-Macquart, Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire, soit la nourriture abonde, soit elle manque cruellement, il n’y a pas d’entre-deux. Ainsi, dans Le Ventre de Paris où les maigres s’opposent au gras, les ventres creux des pauvres gargouillent devant des montagnes de provisions destinées aux bourgeois. Ce pauvre Claude Lantier, peintre génial famélique et suicidaire que l’on retrouve dans L’Œuvre, vient puiser son inspiration aux Halles dans le défilé des légumes, des fruits, viandes, poissons, beurre et fromages qui y sont déversés par charretées entières chaque matin. Claude se nourrit de leur forme et de leur couleur, « en prenant même des indigestions », sans jamais toucher à la moindre de ces victuailles.
Des réfectoires grands comme des mâchoires nourrissent le personnel du grand magasin Au Bonheur des dames. Dans ce roman, le nombre des occurrences du verbe « manger » est vertigineux. Tous les personnages, des principaux aux secondaires et même les personnages d’arrière-plan, voudraient manger, mangent ou sont mangés : « Vous me croyez fini, et les dents vous poussent. Méfiez-vous, on ne me mange pas, moi ! »
À propos du magasin au bonheur de dames : « Il finissait par admirer l’inventeur de cette mécanique à manger les femmes. »
Dans L’Œuvre, lorsque les peintres se réunissent pour un repas, c’est Claude Lantier, le plus faible et peut-être le plus génial d’entre eux, que ses amis dégustent au dessert : « Ils avaient recommencé le massacre, inassouvis, les dents longues… ».
Au chapitre 7 de L’Assommoir, chapitre culte pour un livre culte, Gervaise sert une oie à ses convives, une oie gigantesque qui blanche et grasse n’est pas loin de lui ressembler. Le festin de Gervaise est un massacre. Ses invités mangent les économies de la petite blanchisseuse mais aussi sa réputation, son avenir, et son être tout entier qui se trouve dépecé, dévoré. Dès le chapitre suivant, ce sera la chute, la descente, la déchéance.
À la misère du peuple, s’oppose les richesses du « nouveau commerce » qui avec profusion nourrit et engraisse la classe sociale montante, la petite bourgeoisie. C’est elle qui, copiant dans ses délires culinaires la noblesse des temps anciens se met à table, en profite et se bâfre. L’abondance à portée de main, manger, au sens propre comme au sens figuré, devient un but ultime.
Zola a douze ans lorsque le prince-président Louis-Napoléon Bonaparte, un an jour pour jour après son coup d’état du 2 décembre 1851, devient empereur de tous les français. Louis Napoléon Bonaparte que les français ont pourtant élu au suffrage universel n’aura fait qu’une bouchée de la deuxième république.
Plus tard, dans les années 1870, devenu écrivain et publiant un livre par an, Zola lance cette formule lapidaire : « Le second Empire est une orgie d’appétits et d’ambition ». On pourra donc lire l’ensemble des Rougon-Macquart comme un long et génial développement de cette courte assertion. Ainsi, dans la préface restée célèbre du premier volume, La Fortune des Rougon, Zola écrit : « Les Rougon-Macquart, le groupe, la famille que je me propose d’étudier, a pour caractéristique le débordement des appétits, le large soulèvement de notre âge, qui se rue aux réjouissances. »
1In L’œuvre, p.371, éd.Folio Classique
Illustration : Plein air, dessin et collage de Seb M (20 x 20 cm),
inspiré par la lecture de L’Œuvre d’Émile Zola, 2012
Cannibalisme, autour du roman La Route de Cormac McCarthy, par Valéry Meynadier
Dans ce livre accessible à tous, sain comme une prière même si on n’a pas la foi, il est question d’un homme et d’un petit garçon — ils ne seront jamais nommés. Ils marchent sur une route « dans l’air chargé de cendres », ils dorment dans « un froid à faire éclater les pierres », un caddie avec eux. Dedans : une bâche, des couvertures, une bouteille en plastique. Et la peur tout autour. Jamais nommée, la menace du cannibalisme rôde dans les silences, les ellipses, parfois les hurlements. Et s’il ne restait plus rien à manger ?
L'homme et l'enfant ne seront jamais prêts à tout pour survivre — là sans doute, le secret de l’humanité. Pas de grandes phrases ni d’explications, seule une poésie noire, anxiogène, qui nous montre du doigt. Et toi, tu ferais quoi ?
On trouve dans le journal de navigation de Christophe Colomb (1492) : « ... et d’autres avec des gueules de chien, qui mangeaient les hommes ». Et même au commencement, quand Dieu créa les cieux et la terre : « Tu mangeras le fruit de tes entrailles, la chair de tes fils et de tes filles que t’aura donnés Yahvé ton Dieu » (Deutéronome, XXVIII, 47-48). Montaigne, dénué d’ethnocentrisme et d’esprit vindicatif, rappelle dans les Essais : « Sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas son usage ». D’après Hérodote, le cannibalisme est une façon de penser le monde, « la plus belle des morts » étant pour un Massagète d’être cuit pour ainsi « régaler » sa famille.
Revenons à La route. On ne prie plus, on avance dans le passé de l’humanité. Qu’avons-nous fait pour en arriver là ? On se mord les doigts, c’est tout près, demain, maintenant. D’une écriture bleue de froid sous un ciel qui a dit son dernier mot, Mac Carthy nous abandonne cependant avec un goût de miracle dans la bouche. Le miracle est là, scandaleux et quotidien, plus rien ne nous le cache enfin car tout est mort alentour.
« Le petit se tourna dans les couvertures. Puis il ouvrit les yeux. Salut, Papa, dit-il.
Je suis là.
Je sais. »
En vérité, nous sommes cuits depuis belle lurette. Ici et maintenant, pas besoin de fin du monde pour signifier la fin de l’humanité.
Avril 2012, Corée du Nord : « Affamés, ils deviennent cannibales… faute de pouvoir se procurer de la nourriture. » Brésil : « Le cannibale vendait ses victimes sous forme de beignets. » Chine, Yunnan : « Un cannibale a vendu de la viande humaine sur les marchés en disant que c’était de l’autruche… il a été arrêté ». Japon : l'artiste Mao Sugiyama cuisine son pénis et ses testicules pour une dégustation. Les spectateurs, au courant de la nature du plat, ont payé chacun 20 000 yens, soit 200 euros. « Le cannibalisme n’étant pas illégal, la police de Tokyo a décidé de ne pas intervenir. »
Il est grand temps de souffler sur le feu qui brûle en chacun de nous.
The Road, chez Alfred A. Knopf., 2006 / La Route, éditions de L'Olivier, 2008, traduction française de François Hirsch – Prix Pullitzer de la fiction 2007 / Prix Ignotus 2008 / porté au cinéma par John Hillcoat, 2009
Chronique cinéma
Éloge du goût, de Jean Domon
Nous ne pouvions pas inaugurer ce dossier sur quelques grandes tablées gastronomiques au Cinéma sans rappeler La grande bouffe de Marco Ferreri. C'était en 1973, l'étincelante réplique cinématographique de la chanson d'Alain Souchon On est foutu on mange trop ! Ces quatre respectables bourgeois qui avaient décidé de s'empiffrer incontinent pendant une semaine viandes et purées, charcutailles et pâtisseries jusqu'à en crever l'un après l'autre avaient franchi les limites tolérables de la dérision. Quels que furent leurs talents ils firent scandale au Festival de Cannes. Par ce ragoûtant suicide collectif par indigestion, ils rappelaient à nos estomacs trop tolérants que ce qui donne précisément au « manger » tout son plaisir, c'est le goût !
« Perdre le goût ! » C'était la terreur de Mr Chu, le héros du film Salé sucré du taïwanais Yang Lee. Ce chef-cuisinier dont la devise était « couleur, parfum et saveur », souffrait de ne plus doser avec la perfection de ses années de jeunesse la sauce à l'ail de ses carpes ou le temps de cuisson de son potage au melon amer. Alors qu'une de ses filles venait de se faire embaucher par un Mac' Do ! Un retour tardif pour raisons économiques au restaurant de ses années glorieuses permit heureusement au spectateur de déguster les fines recettes extrême-orientales de celui que tout Tapei avait appelé le Beethoven de la cuisine !
Et c'est bien par le goût que Babette avec son festin vaincra ces tristes protestants coincés dans leur religion du péché et leur refus de vivre joyeusement dans leur corps. Ils s'étaient pourtant bien préparés à cette fête du repas anniversaire offert par l'étrangère en jurant d'une seule âme : « Nous ferons comme si le don du goût ne nous avait jamais été donné ». Mais voilà que les papilles l'emportent sur l'âme et que, distribués avec mesure et recueillement, la « Caille en sarcophage » ou le verre de « Veuve Cliquot » dégèlent ces corps fermés, adoucissent les regards, rosissent les visages. Le goût de manger et de boire leur aura donné aussi celui de vivre et aussi de danser et, sans doute, de prier autrement.
Illustration tirée du film Le Festin de Babette, de Gabriel Axel, 1987
Entretien
Croque et bourlingue, entretien avec Jean-Pierre Duval, éditions Romain Pages, par Françoise Renaud
25 ans d’existence. Votre fonds de commerce, c'est un peu la gourmandise ?
Un péché qui ne réclame d'après moi aucune repentance, toute occasion de se faire plaisir étant bonne à prendre. Et si ça tourne parfois à l'indigestion, c'est une autre histoire ! Nous traitons de la "cuisine" au sens large pour donner à comprendre d'où viennent les produits, comment les cuisiner, découvrir les orfèvres en la matière.
Des choses à croquer du côté de chez vous ?
Des livres sur les tablettes de chocolat à faire chez soi, livrés avec ou sans moule à tablettes — moules fabriqués spécialement en Angleterre. Un beau succès pour notre auteur vedette Anne Deblois (premiers titres vendus à plus de 20 000).
On croque, mais on casse aussi ?
On a décliné une série Tablettes à casser, seul titre existant sur le sujet alors qu'on trouve justement des tablettes à casser chez tous les chocolatiers ! Puis Je fais mes chocolats chauds, édité avec Van Houten.
Cuisine italienne, japonaise… jusqu’où vont vos rivages ?
Nos rivages sont concentrés sur terre et sur mer. Je ne pense pas avoir le temps de découvrir d'autres planètes. La cuisine est question de culture, de mémoire d'un peuple, de mode de vie. Elle est intéressante sous toutes les latitudes.
Essayez-vous les recettes de vos livres ?
Oui, et c'est même un argument commercial. Je les teste toutes... je suis gourmet et gourmand !
Pourquoi l’édition ?
Une impulsion de jeunesse. Après le bac j'ai travaillé comme manœuvre pour me payer un billet d'avion et j'ai fait le tour du monde en bossant en Haïti, au Venezuela, au Yémen... Je suis devenu photographe de livres de voyage. J'avais 24 ans quand mon éditeur a fait faillite, j'ai donc créé ma propre maison. Je ne suis pas mécontent du parcours même si je n'ai publié que le centième du catalogue de Robert Laffont. Lui aussi a créé sa maison d'édition à 24 ans !
Vos rapports avec le numérique ?
Je suis à fond dedans tout en restant persuadé que le livre papier a encore de beaux jours devant lui. Pour ma part je lis sur iPad, ça me permet de lire au lit la nuit sans allumer la lumière et sans faire de bruit en tournant les pages. Le côté passionnant, c'est d'imaginer des solutions pour profiter au mieux des possibilités techniques des liseuses.
Vous avez été souvent primé. À quelle récompense êtes-vous le plus attaché ?
À celles obtenues par Marin-pêcheur, un livre très personnel. Pendant un an je me suis embarqué sur des chalutiers jusqu'en mer d'Islande pour photographier mes compagnons de bord. L'année où le livre est sorti, on a raflé les prix sur le thème de la mer en dépit de nos concurrents prestigieux.
Si vous ne deviez retenir qu'une seule histoire de publication…
Hum, pas facile… et bien, ce livre sur les marins-pêcheurs. J'ai eu un tel retour de la profession que j'ai eu l'impression de faire une oeuvre utile. Une vingtaine d'expos a suivi en France et en Europe. Lors d'un vernissage, j'avais invité le patron pêcheur avec qui j'avais embarqué : une sorte de géant au visage dur et sévère, ce genre d'homme dont on se dit : Il a du en voir celui là ! Au micro, devant une centaine de personnalités locales, il a eu les larmes aux yeux en expliquant que quelqu'un enfin avait compris leur métier.
Romain Pages Éditions
Romain Pages Éditions : Marin-pêcheur par Jean-Pierre Duval
www.chocolanne.com
Perles à la violette et sorbet à l'azote, entretien avec Bernard Cabiron, par Caroline Fabre-Rousseau
Cabiron traiteur à Montpellier est tenu par deux frères : Gérard (meilleur ouvrier de France 2007) est au labo et Bernard (ingénieur agronome) est au bureau. C'est Bernard qui nous parle de cuisine moléculaire. Ils la pratiquent sous forme d'ateliers pour animer leurs buffets.
La cuisine moléculaire, ça consiste en quoi ?
Le terme a été inventé par Hervé This, passionné de cuisine, chercheur à l'INRA. La cuisine moléculaire explore toutes les phases des molécules présentes dans les aliments : gazeuse, solide et liquide. Le chef cuisinier espagnol Adrià Ferran s'y est intéressé et a mis au point des recettes surprenantes dans les laboratoires d'Hervé This.
Quelques exemples de cette cuisine chimique ?
La cuisson express au froid à -70 °C dans un bain d'azote, la 'sphérification' (transformation des aliments en billes) grâce à l'agar et au bain de calcium.
Croquer, ça évoque quoi pour vous ?
Des pommes, des radis, des tuiles, tout ce qui est ferme sans être dur. Pour moi, une recette est « à croquer » quand elle vous met l'eau à la bouche !
Votre cuisine permet-elle d'obtenir des mets croquants ?
À condition d'avoir le matériel. Avec la cuisson à l'azote, je propose des œufs pochés accompagnés de mouillettes de pain d'épice croquantes et un vacherin express à base de meringue et de sorbet de fraise. Avec l'agar et le bain de calcium on peut fabriquer des sphères de violette à incorporer au sorbet.
La cuisine moléculaire est spectaculaire et rapide, mais difficile à pratiquer au quotidien...
Et pour nous faire craquer ?
Des perles de curaçao. J'adore la couleur bleu lagon, à croquer sur un transat...
Illustrations : Portrait de Bernard et Gérard Cabiron / Pastilles au sirop de violette
Arts plastiques
Fruité, de Barbara Heide
Une palette de couleurs et de textures se révèle grâce à l'objectif macro qui permet d'aller puiser au-delà du visible. La sensualité affleure grâce aux jeux de la lumière. La gourmandise accompagne la perception. On a vraiment envie de succomber à ces fruits rafraîchissants. Le photographe rappelle que la nature a créé ces tableaux qu'il a contribué à mettre en lumière.
Barbara Heide, d’origine allemande, habite le Languedoc depuis plus de 30 ans.
Après avoir travaillé la peinture, elle se consacre à la photographie numérique depuis 2006.
Sel, de Christine Oberlinkels
Christine Oberlinkels écrit avec de l'ombre et de la lumière sa sensibilité au monde.
Ses pas se sont arrêtés un instant dans cet univers inhumain où certains hommes, pourtant, extraient de la mer des montagnes de sel à force de soleil, de gasoil et de sueur.
www.christineoberlinkels.fr
ISSUU : issuu.com - Christine Oberlinkels
Un monde croquis-croquants, dessins de Bertrand Joliet
« Quand j'étais enfant, au lieu de manger des bonbons et de jouer avec mes copains, je faisais des dessins, pas très loin de ceux-ci. Je disais que je dessinais des monstres mais, au fond de l'affaire, je ne me préoccupais de rien, sinon de dessiner. J'avais vaguement entendu parler de la ligne serpentine et je m'efforçais de dessiner ainsi, sans lever la plume. Comme j'ignorais encore qu'on pouvait faire une esquisse, un crayonné, ou même avoir une idée, je croyais — en voyant des dessins des maîtres anciens — qu'ils s'y étaient juste mis, comme ça, comme moi. Je prenais donc une plume en acier, de l'encre, un morceau de papier et, hop, je faisais un dessin. Comme quand on mange.
Aujourd'hui, chaque œuvre d'art contemporain est construite sur une idée, un principe, un concept. On y fait des séries, des installations, des vidéos, des peintures répétitives. Ils ont quelque chose à dire ! Je n'ai rien à dire. Ou alors, je ne sais pas.
Pour retrouver cette forme de pureté, je me suis fixé un cadre, une loi, ou pour reprendre le jargon du HTML, un "doctype strict", c'est-à-dire un type de document HTML (une page web) où aucune faute ni aucun écart de syntaxe n'est autorisé. Curieusement, pour une page web, si ce mode d'écriture limite les possibilités, il augmente en revanche considérablement l'accessibilité, en particulier pour les aveugles.
La loi tient en peu d'articles : de l'encre et un pinceau, pas d'esquisse, pas de crayonné, pas d'idée. »
C'est la garniture qui compte, peintures de Jacki Maréchal
« Faut être un peu couillon pour vouloir faire des natures mortes au XXIe siècle, j'ai dû l'être lorsque j'ai attaqué cette série, je voulais ré-aborder les thèmes traditionnels de la peinture, j'ai fait des portraits, des paysages, des natures mortes. Les natures mortes, c'est comme la Mer morte, il faut savoir marcher sur l'eau pour y aller. Je me demande bien ce qui m'a pris de vouloir marcher sur l'eau… »
Œuvres : acryliques sur toile, 2012
De haut en bas et de gauche à droite :
Esprit des lieux, 116 x 89 cm
Menus plaisirs, 73 x 60 cm
Le buveur solitaire, 81 x 65 cm
Déjeuner sur l'herbe, 100 x 100 cm
Agape cathartique, 73 x 60 cm
Parutions - avril à juin 2012
avril
Laurence BIBERFELD
Apprendre à désobéir, petite histoire de l'école qui résiste, éditions de la CNT, coauteur Grégory Chambat
De l’œuvre éducative de la Commune de Paris à la dénonciation du fichage informatique des élèves, de la naissance du syndicalisme dans l’éducation aux écoles populaires kanak des années 1980, en passant par les luttes anti-hiérarchies ou la résistance à la « rééducation » vichyste, cet ouvrage retrace 150 ans de lutte et d’insoumission dans et contre l’institution scolaire.
Geneviève GAVIGNAUD-FONTAINE
Terroirs et marchés des vins dans un siècle de crises. 1907-2007 en Languedoc et Roussillon, Montpellier, PULM, 2012
Un livre qui clôt une longue série d’études consacrées à l’histoire vigneronne du Languedoc et du Roussillon. [...] La présente étude est portée par l’actualité, celle d’un ressac de crise venue déraciner de nombreux vignerons ; la situation exacerbe d’autant plus les discussions qu’elle coïncide avec le centenaire des événements de 1907, ceux-là même qui ont permis à la vitiviniculture régionale de prolonger d’un siècle ses acteurs, ses villages et ses terroirs. L’analyse factuelle s’élargit à la mise en perspective d’une économie mondiale dérégulée.
Jean-Joseph GOUZY
A la pensió els cignes eren negres, nouvelles en catalan, éditions El Trabucaire, collection Seria Negra, Perpignan, 2012
Une série de onze nouvelles en langue catalane, plus noires que policières, mais centrées sur le personnage du commissaire J. Trinxet. Nouvelles rapides, simples, très proches d'une réalité quotidienne, un peu transformée par le rêve.
mai
Véronique BARRAU
La nature musicienne : eau et coquillages, documentaire jeunesse, association Mélusine, illustrations de Nathalie Dento
Construire des instruments de musique avec des coquillages, des objets sonores imitant le bruit de l'eau, des instruments nécessitant d'eau pour fonctionner... Voici plusieurs astuces pour s'amuser avec la nature musicienne !
Laurence BIBERFELD
Fourmilières, e-book, éditions Les volubiles
Les Alouettes. Une cité ordinaire d'une banlieue ordinaire. Ses barres de HLM. Sa population bigarrée. Son ennui, ordinaire aussi. Des dizaines de personnages vont et viennent, se croisent et s'éloignent, s'évitent et s'affrontent dans un ballet étourdissant. Un roman noir caustique, ébouriffant et drôle, instantané de notre époque : course-poursuite de fourmis qui foncent, tête baissée, en quête de dignité. www.lesvolubiles.com
Andrée LAFON
Retour à Rodez, roman, éd. L'Harmattan
Une vieille femme retrouve l'enfant qu'elle a été en parcourant les rues de Rodez. Elle n'y était pas retournée depuis soixante ans. À ses propres souvenirs se mêlent ceux de personnages qui ont vécu dans la ville. Aussi ceux d'événements qui l'ont marquée.
Françoise RENAUD
A côté d’elles, proses poétiques, Les 3 Spirales, calligraphies de Marcel Zaragoza et espaces picturaux de Frédéric Plumerand
Il est question de l'instant qui passe, du corps qui marche, du ciel et de la lumière, éléments dont la conscience nous échappe le plus clair du temps. Petites proses entre paysages et tableaux miniatures. Un livre à garder près de soi, textes profonds ornés de calligraphies et mis en page par un peintre.
juin
Nicolas ANCION
La cravate de Simenon, roman, éditions Didier
Si Léopold a trouvé du travail, s'il a découvert sa vocation d'écrivain, c'est grâce à la cravate que son père lui a offerte. Ce qu'elle a de spécial ? Son origine : elle aurait appartenu à Georges Simenon, le prolifique auteur de polars ! Mais lorsque le père de Léopold tombe gravement malade, la pauvre cravate semble impuissante... À moins que ?
Michèle BAYAR
Trois romans pour l'été, dont La nuit des grenouilles taureaux, J’aime lire hors série, éditions Bayard-presse
Tourner des films documentaires, c’est le rêve de Nick. Et ça tombe bien : sa classe est invitée à Belle-Île-en-Mer. C’est l’occasion pour lui de réaliser un superbe reportage dont Nina, une jeune surdouée, tiendra le rôle principal... Nina et aussi quelques grenouilles comme on n’en avait jamais vu sur l’île...
Pierre PITIOT
Confessions d'un pêcheur d'images, Editions Domens
Trente ans de cinéma méditerranéen
Jean REINERT
Nadiejda, théâtre, L'Oeil du souffleur
En 1932, Nadiejda Alliluïeva, la jeune épouse de Staline, se suicide lors des festivités du XVe anniversaire de la Révolution d'Octobre. Trois jours d’une révélation tragique.
Jeremi SAUVAGE
Nous sommes un monstre, nouvelles fantastiques, éditions Malpertuis
Disparitions mystérieuses, étranges brouillards, fantasmes et réincarnations, autant de thèmes de la littérature fantastique revisités à travers la complexité, les doutes et questions existentielles de l'être humain.
Gérard ZUCHETTO
Camins de Trobar – Terre des troubadours, édition Troba Vox, 3 volumes
Vol.1 – Terre des troubadours : introduction au trobar et aux troubadours des XIIe XIIIe siècles : histoire, poésie lyrique, rayonnement en Europe
Vol.2 – Contes et légendes des troubadours : l’univers légendaire des troubadours à travers biographies, vidas et razos, et portraits extravagants de personnages hors du commun.
Vol.3 – Le Troubadour Guiraut Riquier de Narbonne : ses chansons en musique (1257-1292)