Magazine
Conception graphique et webmaster : Pascal Steichen - Rivages Graphiques
Sommaire
n°21 - janvier 2011
INÉDITS1 - Trois portraits rouges de Bertrand Joliet
2 - Génération débrouille de Magali Junique
3 - À l'ombre du sauvage de Laurent Dhume
4 - La passagère aérobie de Jean Reinert
CHRONIQUES LIVRES
1 - Mon nom est Rouge d'Orhan Pamuk, par Françoise Renaud
2 - Le Barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras, par Anne Bourrel
3 - Houellebecq, le Goncourt, par Antoine Blanchemain
CHRONIQUE ART
"Bambous" d'Ulrich Schacht, par Denise Miège-Simansky
ENTRETIEN
Avec Marie-Lydie Joffre, artiste plasticienne - par Valéry Meynadier
ARTS PLASTIQUES
1 - Photographie : N. Houzel Belliappa
2 - Peinture : Laurence Briat
Prochain numéro : mars 2011
Ours
Comité de rédaction : Raymond Alcovère, Anne Bourrel et Françoise RenaudComité de lecture :
Dominique Gauthiez-Rieucau, Valéry Meynadier
Rédactrice en chef :
Françoise Renaud
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Index par rubriques
Index par auteurs et artistes
Éditorial
Nouvelle année
nouvelle décennie
nouvelles fureurs de lire et d'écrire – l'un n'allant pas sans l'autre –,
raconter les scènes du quotidien, les paysages au crépuscule, bâtir des personnages qui forcément nous ressemblent, les côtoyer, les pousser à bout afin de sonder leurs zones obscures,
et si on ne lit pas et n'écrit pas, courir jusqu'au soir parce qu'il n'y a rien de mieux à faire que de sentir le vent sur la peau, l'odeur des herbes et des fleurs, entendre le rire des enfants à vélo sur le chemin de terre, remarquer l'oiseau à l'œil perçant posté sur la branche la plus haute pour mieux envisager la plaine, observer la prochaine vague,
à chaque instant cueillir l'odeur de l'affection
elle émane des autres,
elle est notre eau de survie et de consolation, accompagnant les mots qu'on nous adresse ci et là, ceux-là par exemple pour l'occasion : bonne et heureuse année.
Illustration : Martine Trouïs, Ruptures en continuité, 2010,
triptyque sur toile, 3 x 41 x 60 cm - site de l'artiste
Inédits
Trois portraits rouges, de Bertrand Joliet
1 Il m’est arrivé une chose horrible et je ne pouvais plus peindre après, ça me paraissait ignoble. Je ne pouvais plus rien faire. Puis il m’est arrivé une chose merveilleuse et je ne pouvais plus peindre après, ça me paraissait futile. Je ne pouvais plus rien faire. Puis j’ai eu très mal à une dent. Je ne pouvais m’occuper que de ça. Comme à chaque fois qu’il m’arrive quelque chose.
2 Un peu après, je marche dans la rue et j’entends une folle, elle chante, elle rigole, elle danse, et tout le monde a peur, mais moi, je l’ai vue avant dans le bureau et je croyais qu’elle empruntait de l’argent, enfin bon, elle ne me fait pas peur, la pauvre, elle avait juste trouvé du travail. Un jour aussi, un fou m’a béni dans la rue. Il était à poil et il bénissait les gens, enfin, ceux qui n’avaient pas changé de trottoir.
3 Le soir de la fête nationale, les domestiques ont préparé un gâteau d’anniversaire et, pour amadouer une population prompte au lynchage, l’ont brandi à la fenêtre des combles où ils logeaient, tenu par leur petite fille. Celle-ci avait fabriqué un drapeau de papier que les bougies ont enflammé. Une flammèche s’est envolée dans la gouttière, envahie de feuilles et d’humus où une main anonyme a laissé prendre ce feu, dégageant du gaz carbonique qui, s’infiltrant par une gaine d’aération menant au salon, a tué toute la famille des patrons, une douzaine de personnes. Ce matin, découvrant que les domestiques avaient survécu, les habitants les ont pendus.
Illustrations : Amblyope n°1 (acrylique sur toile, 150 x 200 cm, 2010)
Saint Jean-Baptiste (acrylique sur toile, 100 x 100cm, 2010)
Portrait avec bouquet de fleurs. Très joli portrait, probablement XXe siècle, signé et daté en bas à droite. Lot n°47 (acrylique sur toile, 100 x 100cm, 2010)
site de l'artiste
Génération débrouille, de Magali Junique
Cette semaine non plus, l'eau n'est pas arrivée.
Rosa part au travail, elle laisse le robinet de la citerne ouvert, sait-on jamais...
Et si l'eau arrivait pendant qu'elle était au travail ?
Deux heures du matin Rosa dort à poings fermés lorsqu'un bruit familier, un gouttellement enchanteur la réveille. L'eau s'est déversée de la citerne pleine à la deuxième citerne puis de la deuxième citerne au mur du patio intérieur, puis du mur à la cuisine par la fenêtre qui donne sur le patio, puis du sol de la cuisine à tout l'appartement et de l’appartement au couloir de l'immeuble et ainsi de suite, successivement, à tous les étages.
Rosa se lève, patauge prudemment dans la flaque immense, atteint le robinet et le ferme enfin. Elle ouvre la porte du palier et crie à tue-tête pour les voisins : l'eau est arrivée ! Elle regagne sa chambre, s'essuie les pieds avant de se remettre au lit. Elle se rendort, bercée par le clapotement des citernes des voisins qui déversent elles aussi leur trop plein le long de la façade de l'immeuble.
Ce matin Rosa va partir au travail, elle laisse le gaz allumé. Depuis hier elle cherche à acheter un briquet ou des allumettes. Ce matin elle vient de griller la dernière, comment faire ?
Sans allumette pas de réchaud et sans réchaud pas de repas chaud et sans repas chaud pas possible. Elle baisse le bouton du gaz au maximum réduisant ainsi la flamme puis elle quitte son appartement.
Elle se réjouit de ce que la citerne soit encore bien pleine, ce soir c'est sûr elle aura douche et repas chaud.
Illustration : Sheyla Castellanos, Inévitable envol, 2009, huile sur toile, 73 x 99 cm
blog de l'artiste
À l'ombre du sauvage, de Laurent Dhume
à l’ombre du sauvage
tu es
pansant ton temps ton écorchure
à l’ombre voici le ciel qui bruit là-haut
ici tu affûtes ta vue
d’un brin d’herbe ralentis ton ventre ta gorge
que la bile reprenne son cours
à l’ombre du sauvage tu quittes le verre fumé
l’optique, la panoplie
tu laisses et ta peau se dilate
pores ouverts aux pollens du jour
tu seras, demain
l’éphémère devenir
la joie de l’infinie question
seras, à petites touches présentes
l’enclos fertile aux multiples promeneurs
l’homme assis là
à l’ombre du sauvage léchant son âme
Photographie : Hicham Gardaf, sans titre - site de l'artiste
La passagère aérobie, de Jean Reinert
— Où est celui que j'aime ?, murmura-t-elle en paraissant.
Ils ne l'avaient pas vue venir et se regardèrent, éberlués. Ebert posa sa chope, lissa d'un doigt la mousse déposée sur sa moustache et dit :
— Votre chapeau est de neuve paille...
— De pailles et de fleurs, c'est ma splendeur.
Ils se prétendirent tous quatre admiratifs. Pourtant elle se laissa choir dans le rocking-chair, comme extrêmement lasse. Chacun tenta, plaisamment, de la faire revenir à la parole.
— Est-ce par ce nuage qui file là-bas, déjà rose, vers le couchant que vous êtes arrivée ?
— Ne vous ai-je pas déjà vue, Madame ? C'était sur une toile d'un grand Maître espagnol. Et vous portiez alors un ample chapeau de velours noir.
— L'œil de l'amante brille d'un éclat singulier, est-ce le reflet du regard de l'aimé ?
Un sourire éphémère passa sur ses lèvres. Djurgla le voleur s'approcha d'elle et tout en saisissant un rayon du couchant au brillant de sa bague — dont il ravit son œil — il subtilisa le médaillon qu'elle portait en sautoir. Il le lui présenta en murmurant :
— J'ai trouvé cette médaille au cou d'une rose trémière.
Elle tressaillit et le considéra, surprise; puis souleva nonchalamment les boucles sur sa nuque quand, cérémonieusement, il y fixa l'agrafe. Elle dévisagea un instant ses hôtes puis à nouveau tendit son regard aux ors de l'horizon. Le soleil gagnait les collines occidentales, Clarisse chanta une mélodie ancienne. Elle contait la chevauchée du héros Alvadi dans les prairies du ciel quand il vint y rejoindre sa divine amante. Bertéjic l'accompagna au violon, le chant devint plus rapide et tous deux dansèrent en acrobates sur le parapet de la terrasse...
Comme le soleil allait disparaître, elle se leva et tendit aux danseurs ses boucles d'oreille. Elle donna à Djurgla l'un de ses escarpins et à Ebert le ruban de son chapeau.
— Que celui qui en désire plus me rapporte tel objet de ma parure.
Le vent soudain gonfla sa robe. Elle s'éloigna, ombre légère à contre-jour.
— Nous n'avons pas pu la retenir, dit Clarisse. Celle-ci était trop amoureuse.
Ils hochèrent la tête silencieusement.
Illustration : Aline de Castro, Jardin à Grenade, 2007, estampe imprimée de gravure en collagraphie - site de l'artiste
Chroniques livres
Mon nom est Rouge d'Orhan Pamuk,
par Françoise Renaud
Prix du meilleur livre étranger 2002
Istanbul. Hiver 1591. Il neige.
Une voix s’élève du profond d’un puits, celle du cadavre de monsieur Délicat. « Je suis mort, mais comme vous le voyez, je n’ai pas cessé d’exister. » Il était spécialiste des dorures à l’atelier du Sultan Murad III (1574-1595). Quelqu’un lui a fracassé le crâne.
L’intrigue ainsi posée, ce roman érudit nous entraîne dans le cercle des miniaturistes et enlumineurs d'une époque où s'affrontaient deux visions, deux façons d'aborder la peinture : suivre la voie traditionnelle ou céder à un modernisme influencé par la peinture occidentale de l'époque. Deux façons de voir la réalité – à l'image d'Istanbul, ville partagée entre deux rives ; à l'image de l'écrivain, homme partagé entre deux mondes.
Les personnages se dévoilent au fil des 59 chapitres, chacun s’exprimant à la première personne pour confier désirs et chagrins. Le Noir, artiste rentré d’un voyage de douze ans, amoureux de la belle Shékuré. Son père appelé l’Oncle, devenu aveugle — car le peintre œuvrait jusqu'à épuiser ses yeux —, fasciné par la manière vénitienne de peindre. Maître Osman, pur défenseur de la tradition. Esther, l’entremetteuse. L’Assassin, frère d'atelier et rival de Délicat. Parfois un chien, un arbre, une couleur.
Ce changement fréquent de narrateur, d'abord déroutant, finit par créer une grande intimité avec les personnages. Et c'est à travers leurs voix multiples et ardentes que l'écrivain développe son récit subtilement construit entre enquête policière, intrigue amoureuse et conte philosophique oriental. Au cœur du propos, la posture de l’artiste entre tradition et modernité, entre mémoire et cécité. « Tous les grands maîtres recherchent dans leur œuvre, derrière les couleurs, l’obscurité profonde qui reste hors du temps. »
Au fond, il n’est question que du regard, celui que l'homme — le peintre — pose sur le monde. « Avant la peinture, il y avait les ténèbres… Connaître, c’est se souvenir de ce qu’on a vu. Voir, c’est reconnaître ce qu’on a oublié. Peindre, c’est donc se souvenir de ces ténèbres. »
Orhan Pamuk, lauréat du Nobel de littérature en 2006, est connu pour ses prises de position politiques. Ses romans, souvent distingués, développent une écriture claire et foisonnante parmi les plus remarquables de notre époque.
Illustration : L'Hippodrome à la période ottomane,
miniature du XVIe siècle de Matrakçi Nasuh
Le Barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras, 1950, par Anne Bourrel
« L’histoire de ma vie n’existe pas », Les lieux de Marguerite Duras, entretien avec Michelle Porte, Minuit 1977
Dans les années 1920, au sud de l’Indochine, une institutrice veuve vit avec ses deux enfants Joseph et Suzanne. Elle a réussi à acheter un bungalow aux planches mal clouées et un terrain qu’elle croyait cultivable. Mais, chaque année la marée de juillet inonde la récolte de riz. La mère a été victime de la malhonnêteté des agents du cadastre qui n’octroient de bonnes terres qu’à ceux qui leur donnent de l’argent en sous main. Avec l’aide des paysans de la plaine, elle essaye de construire des barrages pour retenir l’eau et sauver sa récolte. Les rondins sont rongés par les crabes et détruits par la mer, qui ravage une nouvelle fois les jeunes pousses de riz. La famille est ruinée. C’est alors que la rencontre avec monsieur Jo, un jeune homme asiatique riche, tombé follement amoureux de Suzanne, laisse entrevoir à la mère des possibilités nouvelles de s’enrichir…
Avec ce troisième roman Marguerite Duras inaugure son grand œuvre. Elle a 36 ans, nous sommes en 1950. Pour la première fois, elle mêle à la fiction des éléments de sa propre enfance et de sa jeunesse : le cadre de l’Indochine française, l’injustice dont a été victime sa propre mère et les relations ambiguës d’un Chinois fortuné avec une très jeune fille.
Toute sa vie durant, Pénélope refaisant indéfiniment sa toile, Marguerite Duras n’aura de cesse de réinventer la même histoire. L’Eden Cinéma (théâtre, 1977) est la réécriture quasi directe du Barrage. L’Amant (1984) est ouvertement plus autobiographique. Il vient éclairer les zones d’ombres laissées dans le tout premier livre. Ce que l’on nommera plus tard « le cycle du Barrage » comprend enfin en 1991, L’Amant de la Chine du Nord, texte entre roman et scénario. Chaque texte a été écrit en réponse au précédent, pour creuser encore et encore le matériau d’écriture.
L’œuvre de Marguerite Duras comporte d’autres cycles, celui d’India Song ou celui de « la jeune fille et l’enfant ». D’un livre à l’autre, le point de vue change, l’auteur ouvre et coupe le texte initial pour y inclure un autre texte, ou bien juxtapose la réalité à la fiction, révélant ainsi à chaque fois le processus de création de manière poétique. Par le procédé littéraire de réécriture, l’auteur se mélange à la fiction pour devenir fiction, s’y mêler, s’y engloutir et le lecteur plonge dans "la chambre noire" de l’écrit, à l’endroit même où le texte est en train de se faire. À l’endroit même où il disparaît. La naissance et la mort de l’écriture chez Duras sont concomitantes ; ainsi a-t-elle pu écrire dans Le Ravissement de Lol V. Stein : « On écrit toujours sur le corps mort du monde et de même sur le corps mort de l’amour ».
Houellebecq, le Goncourt, par Antoine Blanchemain
Il gênait. Difficile à caser. Pornographe, provocateur, avide de notoriété autant que d'argent, l'écrivain était discuté.
Mais le voilà qui fait l'unanimité : on lui donne le prix Goncourt. Ça tombe bien, il avait très envie de l'avoir. Conscient de ses excès : « Au fil des années, il avait développé une conception de la vie cynique et violente, typiquement masculine », il évite cependant tout excès de contrition : « C'est un bon auteur, il me semble. C'est agréable à lire, il a une vision assez juste de la société », c'est ce que Michel Houellebecq lui-même dit de l'œuvre de Michel Houellebecq, l'autre, celui qui est le héros malheureux (puisqu'il meurt bien avant la fin du livre) de La carte et le territoire.
Suivons-le. Ce livre est en effet agréable (facile) à lire, il est souvent drôle (un sourire de bon aloi), très adroitement structuré (malin) et le regard circulaire que son auteur pose sur le monde du haut de son modeste piédestal est perçant à souhait, sans jamais pousser trop loin la méchanceté, ce luxe tentant mais par trop facile. Il suffit que tout cela soit dérisoire, Michel Houellebecq prolongeant son plaisir dans une discrète mais extrême autodérision.
Peut-être certains ont-ils, à part eux, évoqué Balzac, sinon Zola, mais sans le dire à voix haute, de peur sans doute de devoir reconnaître que le siècle n'a fait que changer de tyrans et qu'il s'est une fois de plus trouvé un écrivain pour se mettre à sa hauteur.
Car, écrivain, et bon écrivain, Houellebecq l'est. Je m'en suis assuré au moment où, sentant la fatigue me gagner, peu avant de finir son dernier livre, j'ai entrepris de relire Les Particules élémentaires.
Allons, le Goncourt, ce n'est ni la fin du monde ni celle d'un écrivain.
Illustration : Auguste Renoir, Clown au cirque, 1868
Chronique Art
Bambous d'Ulrich Schacht,
par Denise Miège-Simansky
Quand tu arrives en haut de la montagne, continue de grimper
(dicton populaire chinois)
La patrie originaire du bambou est la Chine, Ulrich Schacht est allemand, il est peintre. Leur rencontre fut magique. Le bambou est utilisé en dessin et en peinture comme outil pour dessiner à l’encre de Chine ainsi que pour produire de la pâte à papier.
C’est un usage très ancien en Chine.
Parmi 80 genres et plus de 1300 espèces de cette graminée Ulrich Schacht se meut à l’aise. Chaque tableau fait à l’encre de Chine qu’il fabrique lui-même selon une technique traditionnelle est accompagné d’une citation ou d’un poème de Lao-Tseu ou d’un anonyme chinois.
Né en 1944 en Allemagne il a fait ses études à l’Université de Hanovre puis devient professeur d’art plastique et de langues. En 2002, ayant pris sa retraite et parlant couramment français, il s’installe à Puisserguier dans l’Hérault. J’ai visité son atelier où il réside et où on peut voir ses œuvres, peintures et sculptures, bois flottés travaillés par la mer, jeux de couleurs, ou contrastes violents des noirs et blancs, toujours en accord avec la nature dont il s’inspire.
En 2005 le calligraphe, peintre et poète Shansha l’a initié à l’usage de l’encre de Chine. « Cette technique et son esprit sont devenus le centre de mon expression artistique », affirme-t-il.
Œuvres : L'homme s'appuie / Le bambou ne se propage pas - site de l'artiste
Entretien
L'arbre découvert, entretien avec Marie-Lydie Joffre, par Valéry Meynadier
« Des signes qui devraient s'il y a une vérité dans les traits parler pour moi à la place des mots. » Henri Michaux
Marie-Lydie Joffre quitte son métier d’enseignante d’anglais en 1982 pour se consacrer à l’art du pastel. La subtile poudre induit un long parcours d’introspection autour de la figuration humaine. Peu à peu le matériau prend de la densité. Puis le support minéral se substitue au support papier, et, juste retour à la matière, des nus au pastel s’incrustent dans l’épiderme de la pierre (PastelLithe). Au tournant du siècle, son langage pictural se métamorphose en tracés graphiques à l’encre de Chine, notamment inspirés de l’arbre sur le motif et du nu modèle vivant. L'artiste vit et travaille à Montpellier.
Comment avez-vous découvert l’arbre ?
L’arbre dénudé, sculpture vivante, m’a toujours fascinée. Longtemps je l’ai contemplé en silence sans pouvoir le dessiner, craignant de ne pas savoir exprimer la force d’élévation que j’en percevais. C’est au Jardin des Plantes de Montpellier que je me suis hasardée à détailler dans des cahiers l’arbre sur le motif. Dessiner l’arbre sur le vif m’est devenu nécessité. Diverses explorations se sont enchaînées en lavis de terres, volutes d’encre au pinceau, écorçages à la craie graphite. Ensuite l’encre a choisi le calame. Ont alors surgi sur le papier d’impétueuses calligraphies spontanées.
En quoi l’arbre influence-t-il vos œuvres ?
Dessiner l’arbre sur le terrain, c’est participer de l’énergie de la nature dont je retrouve la mémoire dans la tension du geste à l’atelier. Les petits nus d’encre que je réalise en série depuis des années comme des gammes, m’apparaissent innervés à la manière des fines ramilles mises à nu aux branches d’hiver ; les cernes d’encre noire qui sertissent les anfractuosités d’une PastelLithe m’évoquent les méandres des ramures entrelacées en vitraux du ciel.
L’arbre me rassure aussi, ce qui me permet d’aborder la page blanche sous l’impulsion de la détermination.
Quelles richesses trouvez-vous dans le nu modèle vivant ?
Les étonnements d’une nouvelle aventure. Les résonances d’un dialogue au-delà des mots.
Le modèle et l’artiste se modulent l’un l’autre jusqu’à révéler leur personnalité profonde. Sous l’emprise de croquis rapides j’essaie de capter la dynamique des lignes du corps, reflet de l’esprit du modèle. Je préfère travailler sous forme d’élans imprévisibles, sous des angles variés et à partir d’une pose non contraignante, plutôt que d’approfondir une pose dans les détails. Moins savoir que percevoir.
Connaissez-vous les causes du renouvellement de votre expression artistique ?
Au sortir de mon tête-à-tête avec le pastel, j’ai hâte de me porter à l’écoute de l’ailleurs. En même temps un nouveau médium s’impose, comme si le mystère de la lumineuse poudre, le pigment velouté qui insonorise la réalité, la séduction des couleurs et la sensualité de la texture me poussaient à rechercher une vérité sans équivoque à travers la rigueur de l’encre de Chine. Ce noir profond qui heurte. Austérité, gestuelle en marche et force.
Envoûtant, le pastel fait oublier. Limpide, l’encre met devant le fait accompli.
L’estompe du pastel peut masquer le premier jet, celui qui restera indélébile, donc authentique dans le trait d’encre. Le courant de l’encre transporte dans un absolu de lumière blanche.
Adolescente, j’avais une prédilection pour l’art japonais et l’encre de Chine. On dirait que j’ai fait un long détour par le questionnement du pastel pour mieux revenir à ce que j’aimais d’instinct !
Quels sont vos projets de création ?
Me laisser porter au gré des signes d’encre noire ! Toujours plus de tracés d’ailes d’hirondelles, de constructions sommaires à la recherche d’un essentiel. Je ne planifie pas, c’est le travail qui me montre le chemin. Ce que je sais : la mobilité, le lâcher prise, l’arbre respiré, favorisent des espaces de non-sens où j’aime à me surprendre.
Pour l’instant, je suis en phase de feuillets poétiques. À l’intérieur d’un dessin graphique plié en deux en guise de brochure, je glisse des poèmes d’amis… Ce que je programme volontiers, ce sont des présentations d’œuvres d’artistes sur le site de la Tribu des Artistes et sur mes blogs.
Illustrations : Arbres en marche, encres sur papier, 30 x 24 cm
Magnolia, 2010, encre de Chine et calame sur papier, 30 x 24 cm
site de l'artiste - blog de l'artiste - La Tribu des Artistes
Arts plastiques
Puzzle indien, N. Houzel Belliappa ou nhb
La première fois que je suis allée en Inde, j’ai appris à marcher. Sur une plage de Bombay. Puis, j'y suis retournée plusieurs fois, souvent avec mon frère. On allait voir nos grands parents.
Nous étions nés et avions passés notre enfance en Grèce, et puis la France. Mon univers était chaotique. Les décors, les langues, les styles de vie, les personnes changeaient souvent. Le chaos était intérieur. Je passais de longs moments devant des photos de familles à essayer de comprendre les histoires des uns et des autres. La mienne. J’inventais la vie entre les images. C’est là mon souvenir le plus ancien avec la chose photographique.
Je vis en Inde depuis maintenant cinq ans. En arrivant, je savais que je ne pourrais plus prendre de photos comme je l’avais fait jusque-là, avec avidité, comme pour faire des réserves jusqu’au prochain voyage. Enfin, j’avais le temps, le temps de montrer autre chose que la photogénie du pays, les couleurs toujours splendides, les enfants en guenilles séduisantes.
Je devais prendre mon nouveau quotidien à bras le corps pour entrer dans le vif des sujets plus tard. Finalement, mes racines sont ici, dans ce quartier où je vis maintenant, où les morceaux du puzzle forment une image grandiose parce qu'heureuse. Je suis toujours en quête de ces images qui disent l’Inde dans sa profondeur indicible. Bangalore, 01/11/2010
Adresse royale / Bleu indien / Temple - blog de l'artiste
De dos, peintures de Laurence Briat
Tout de suite à regarder les peintures de Laurence Briat, on est frappé par la posture des personnages. Ensuite par l'organisation de la lumière autour d'eux, par l'impact de la chair.
Donc la posture.
Le peintre dit souhaiter explorer la fragilité des êtres. Peut-être qu'à les représenter ainsi sans visages, regards absents et mots tus, les êtres imposent une présence silencieuse et s'expriment de façon plus généreuse.
Elle avoue avoir été impressionnée par les personnages peints de dos du peintre danois Vilhelm Hammershoi (1864-1916), célèbre pour ses atmosphères nues aux tons blancs et gris. Le dos évoquerait pour elle quelque chose de l'envers, de la contradiction.
Elle note : « Les personnages s'absentent ou bien s'absorbent ailleurs. Ce qu'ils contemplent s'avance au-devant de nous. »
De haut en bas et de gauche à droite :
- Entre deux , 2010, 90 x 70 cm
- L'ombre, 2010, 130 x 90 cm
- Danseurs, 2007, 90 x 70 cm
- D'autres corps, 2008, 130 x 180 cm
huiles sur toile.