Les auteurs du Languedoc-Roussillon : retour à l'accueil

Magazine

Conception graphique et webmaster : Pascal Steichen - Rivages Graphiques

Ours

Comité de rédaction : Raymond Alcovère, Anne Bourrel et Françoise Renaud
Comité de lecture :
Dominique Gauthiez-Rieucau, Valéry Meynadier
Rédactrice en chef  :
Françoise Renaud
Directrice de publication : Janine Gdalia

Inédits

Juste une image, d'André Gardies

J'ai pensé à elle, d'Elisa Fuksa-Anselme

Elle ne porte aucune marque, aucune mention, rien qui permette de l’identifier. C’est une bobine identique aux autres. Ronde et jaune. Une Kodak, couleurs, 8 mm. Je n’ai plus aucun souvenir d’elle, ni des raisons qui auraient pu conduire à cet anonymat. Peut-être une étiquette qui s'est décollée.
Tant d’années que je n'ai pas soulevé le couvercle de cette boîte à chaussures sur lequel est écrit : Isa, Niort. Tant d’années qu’y dorment ces empreintes d’un temps chaque jour plus ancien. Tant d’années non plus que je n’ai pas sorti le petit appareil Eumig pour projeter sur l’écran ces images cahotantes, incertaines, fragiles, fragments d’un passé de plus en plus étrange à mesure que l’oubli les éloigne de moi.
Je commence par tâtonner. Tente de retrouver les bons gestes, dans le bon ordre. Conflit entre la mémoire du corps et celle du cerveau. Quelques sensations oubliées remontent d’on ne sait où,  retrouvent leur caractère familier. Le ronflement continu du moteur par exemple, puis le crépitement du film quand les dents du rouage l’entraînent. Brusquement aussi la précipitation du crépitement quand la boucle se résorbe. Vite. Tout stopper avant que ne casse le film.  Reprendre. Refaire la boucle et de l’index l’empêcher de se réduire tandis qu’on relance le moteur. Le film tremblote, stabilisé. Voilà, ça tourne. Lumière.
  
Sur l’écran quelques scintillements. Ensuite, les ombres plus claires que produit la bande amorce. Puis, à travers les premières images surexposées et instables, je devine sa robe de laine rouge. Sur ses petites jambes de deux ans, elle s’avance vers moi, malhabile, bras tendus. Elle rit, s’efforce de courir un peu plus vite et tandis qu’elle approche de la caméra, dans le silence du film muet, je lis sur ses lèvres son appel : « Papa ! Papa ! ». C'était en 1965.
Brusquement, plus rien. Le reste de la  bobine n’a pas été exposé.

Illustration : Elisa Fuksa-Anselme, J’ai pensé à elle, 2011, techniques mixtes, 21 x 30 cm
site de l'artiste




Écriture de chat, de Jean-Louis Bec

inédit 2

cela encore
en nous
le ricanement du squelette
ses bouées d'ironie
nature de la boue

éponge sans surprise
lime le froid
ce qui fendille
laisse parler tes jungles
crânement
comme si tu pouvais survivre

laisse aller le mystère
qu'il t'emporte

 

Photographie de l'auteur - site web




Ça va revenir, de Françoise Renaud

à Denise, Anne, Jean-François qui viennent de connaître la perte…

acrylique de Jacki Maréchal

Il se redresse, automate dans le lit — quelle heure est-il ? —, à intervalles réguliers il se réveille, pleure, puis sombre à nouveau dans des espaces tourmentés d’un genre qu’il n’a jamais connu, désert, volcan, à chaque fois c’est comme une chute : il a du mal à conserver les yeux ouverts à cause de la vitesse, pourtant il voit le sol se rapprocher, une surface dure et brillante, peut-être que c’est une mer et qu’au-delà de cette mer il fait noir. Le matin il sort les jambes du lit, pose les pieds au sol, le goût est parti. Le goût des choses. Il n’arrive pas à se faire une raison, l’ancien corps le tire vers l’arrière, ce corps qui avait connu la caresse de l’autre — la nourriture inestimable —, mais cet autre a lâché prise à cause de l’hiver sibérien, à cause de la maladie qui l’a brisé ou de l’usure. Bien sûr qu’il se souvient de sa figure, de sa voix, c’était tout juste hier et maintenant que la maison est vide, rien, le goût est parti.
On lui dit que ça va revenir, qu’il faut du temps pour ça, oui.
Il se redresse, enfile ses vêtements, avance vers la fenêtre, il faut du temps. Il voudrait se distraire en regardant les gens qui passent mais son regard se heurte à la vitre avec un bruit sec — un bruit de bec d'oiseau — et il voit le visage aux yeux clos. Incrusté. Mêlé aux reflets et aux salissures. Un rien le sépare de ce moment où l’autre respirait, il est entre deux mondes.
Bon, se dit-il, je dois prendre le taureau par les cornes. Il s’empare d’un chiffon et entreprend de nettoyer le vitrage pour mieux laisser entrer la lumière du jour et la laitance des étoiles.

Illustration : Jacki Maréchal, sans titre, acrylique, 2012
site de l'artiste




Faire trace, de Jeanne Bastide

Portrait de Lydia Delectorskaya d'Henri MatisseJe suis assise sur le perron de l’escalier.
Là, c’est ma maison. À cet endroit précis. Numéro cinq rue de la Voie Romaine. J’ai sept ans et j’apprends à écrire à la plume.
Autour il y a le monde. Il tourne et ne pense pas à me regarder.
Je respire et le monde entier reflue dans mes mains. Les poumons s’ouvrent – le soufflet se referme et se dessine une forme. J’inspire – je prends mon élan et trace s’écrit. Tout l’espace de la page en est modifié.
Le regard soupèse la forme inscrite là. Oui, l’espace en est totalement modifié. Le trait a rempli la surface d’un seul geste. Bien arrêté.
L’espace intérieur aussi en est changé. Des forêts de signes se bousculent qui voudraient devenir. La respiration fait le tri. Mes yeux se ferment – s’ouvrent. J’avale la lumière posée sur le tranchant de l’escalier – elle inonde la paroi interne de ma peau.
Autour, le monde. Toujours. 
Les carreaux bruns des escaliers.
Le silence des pas pressés.
Le balancement du platane jaune.
Maintenant les arbres se sont rangés. Ils attendent mon appel.
Tout autour flotte une odeur de sève – de racines et d’encre bleue.
Ma main se met à lisser la feuille sans aucune nécessité.
Je dois à nouveau avaler la lumière et l’ombre sous l’escalier. Du noir bleuté – aujourd’hui doux comme une caresse. J'écris.
Un ébranlement. Mes bras s’arrondissent. L’action prend appui sur la lumière interne qui se met à danser. Un mouvement qui ne pourrait jamais s’arrêter.

Illustration : Henri Matisse, Portrait de Lydia Delectorskaya, 1947,
huile sur toile, L'Hermitage, Saint-Pétersbourg




Matin calme, d'Antoine Blanchemain

Hommage à Claude Monet, Zao Wou-Ki

Cet instant ne fut ni voulu ni organisé et ce n’est pas une simple nostalgie qui vient en magnifier le souvenir. Je ne l’attendais pas, je ne le cherchais pas, je reçus sans avoir à donner. Bien des années plus tard, je ne peux l’évoquer sans retrouver parfaitement intactes chacune des sensations, si infimes soient-elles, que j’avais éprouvées en cette matinée lumineuse. Alors que cet instant n’avait été que vide, mais je vois maintenant que sa force venait de cette vacance totale qui était la mienne faisait de moi un témoin et rien d’autre. Le monde entier m’était ouvert pour que je puisse y prendre place sans contrainte ni projet.
Justement dispensé ce matin-là de faire quoi que ce soit, j’étais simplement libre dans un monde où, j'avais jusqu’alors fait semblant d’être chez moi.

J’étais arrivé par un escalier de pierre blanche au bord d’une petite anse que fait la Dronne, où il n’y avait d’autre courant que celui que dessinait le sillage majestueux de quelques oiseaux blancs ou noirs. Il naissait un grand silence. Jardin public d’herbes et de fleurs où je resterais seul toute la matinée, faisant mon repas d’un sac de cerises.
L’eau de la rivière, sans être sale, paraissait glauque à cause d’une très haute voûte d’arbres qui ne laissait passer qu’une marqueterie de lumière. Sur le pont tout proche, je ne voyais personne bien que cela fût, je crois, jour de marché. La respiration de la ville venait jusqu’à moi, portée par le reflet d’une eau aussi calme que l’air, et celui-ci en cette fin mai était doux.
Ce lieu m’était inconnu. À peine en avais-je retenu le nom, celui d’un écrivain libertin et surtout, la délicate assonance avec celui d’une autre ville entremêlée comme celle-ci dans les eaux divisées d’une rivière tout aussi indolente où mon enfance était restée prisonnière. Vendôme. Mais tout cela était bien loin de moi, ma pensée s’échappait pour glisser au fil de l’onde et se confondre au mouvement imperceptible et silencieux qu’y dessinaient les cygnes. La visite que je fis ensuite de la ville au moment de midi a gardé pour moi la même étrangeté muette que la moindre présence à mes côtés eût suffi à détruire.
Ce jour-là, à Brantôme, je me suis senti chez moi. Simplement parce que quelqu’un avec qui j’avais rendez-vous, m’avait demandé de reporter celui-ci de quelques heures.

Illustration : Zao Wou-Ki, Hommage à Claude Monet, 1991





haut de page

Chez mon libraire, ce n'est pas plus cher !

Ces deux textes d'auteurs proposés par LR2L sont issus du projet d'exposition textes et images lancé à l'occasion des trente ans de la loi Lang. En résonnance, deux photographies de libraires de Sylvie Goussopoulos.

Librairie Le chant de la terre, Pont-Saint-Esprit – André Zaradzky

Librairie Le chant de la terre, Pont-Saint-Esprit – André Zaradzky © Sylvie Goussopoulos

Le plumeau

L’image que j’associe à une librairie n’est pas celle d’un livre mais celle d’un plumeau. Celui avec lequel, tous les matins, je chassais la poussière accumulée la veille sur la tranche des centaines de volumes de la librairie où, étudiant, j’avais trouvé un petit boulot d’été. C’était en 1966 et j’ai toujours conservé le souvenir de ce contact physique quotidien avec chacun des ouvrages dont je faisais la toilette matinale. Une relation agréable mais peu productive car, lorsque les premiers clients arrivaient, j’étais loin d’avoir terminé mon nettoyage. Je subissais alors les foudres de la libraire qui m’expédiait dans la réserve chercher de quoi regarnir les rayons. Un lieu plus propice au feuilletage des livres qu’au labeur. Mon contrat d’apprenti libraire n’a pas été renouvelé et, dix ans plus tard, j’ai écrit mon premier livre.

Francis Zamponi

Librairie Bédé en bulles, Perpignan – Jean-François Malet et Olivier Capella

Librairie Bédé en bulles, Perpignan – Jean-François Malet et Olivier Capella © Sylvie Goussopoulos

Tantale

Confesseur. Il n’ignore rien de moi. Presque.
Pour cause : nos lectures sont des portes qui ouvrent sur nos âmes.
Nos enfers. Nos paradis. Nos tourments. Nos passions. Nos obsessions.
Au secret, il est tenu. Du moins s’y astreint-il.
Comme le courrier, les lectures sont intimes.
On peut lire de tout. Pas avec n’importe qui.
Nous partageons des secrets.
Des controverses :
- Lis-ça, tu vas aimer…
- Ah ?
Puis :
- Alors ?...
- Bof !
Combien de mots d’oiseaux échangés. De désaccords. Sur un auteur, un roman.
Combien d’instants de connivence, de trésors au creux des pages ?
Grâce à sa lecture attentive.
Lui sait. Ce qui me plaira. Il se trompe, rarement.
Il attend, tapi derrière son comptoir et ses lunettes, au milieu des rayonnages.
Avide, je demande :
- Tu lis quoi en ce moment ?
Supplice de tantale.

Patrick Bard

 

Prochains rendez-vous : Perpignan du 31 mars au 27 avril 2012

  • 31 mars, à la médiathèque : 10h30, inauguration - 15h, rencontre projection avec Karim Guyati, directeur de Languedoc Roussillon Cinéma
  • 13 avril, libraire Torcatis : 18h, rencontre avec Patrick Bard  
  • 14 avril, médiathèque : 10h10, petit-déjeuner littéraire avec Patrick Bard

La tournée de l'exposition (lr2l.fr)

haut de page

Billet

Il était une fois… Rudolph Valentino aux Saintes, de Claude Darras

Le Cirque, de Marc ChagallRudolph Valentino était un enfant de la balle, rejeton d’une dynastie, les Merletti, qui devint, dans les années trente, l’une des familles les plus importantes de la Foire du Trône, à Paris. Les descendants de ces Tsiganes sinti (comme l’étaient les Bouglione), arrivés en France à la fin du XIXe siècle, ont abandonné la piste et remisé leur chapiteau dans la maison familiale des Verdines, aux Saintes-Maries-de-la-Mer. L'âme des « Attractions Merletti » continue cependant de voyager sur les routes dans une caravane qui abrite désormais un musée. Avec sa Femme à barbe et le Nain le plus fort du monde, le cirque Merletti valait bien ce « conservatoire ».
L’Histoire d’une famille foraine que Bernardo Merletti a racontée, Daniel Boucherie et Stéphane Traumat rappellent, dans un livre (Pierre Mainard, éditeur à Bordeaux), combien elle est aventureuse, cocasse et belle. Ils la racontent comme on feuillette l’herbier jauni des souvenirs, avec une sorte de nostalgie attendrie. Tout en prenant un évident plaisir à corriger la mauvaise foi de l’histoire à propos de Rodolfo Merletti, alias Rudolph Valentino (Castellaneta, Bari 1895-New York 1926). Avant de connaître la gloire dans les studios hollywoodiens, Rodolfo gagna sa vie comme musicien au cirque Merletti. Curieusement, les archivistes du septième art n’ont pas retenu, semble-t-il, ce vaste pan de l’état civil du beau cavalier ténébreux de Rex Ingram, Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse !

scène du film les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse

Illustrations :
Marc Chagall, le Cirque, 1980, lithographie, Donation Sorlier
Scène du film les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse, 1921



haut de page

Chroniques livres

Quatre conférences de Claude Simon (1913-2005), par Anne Bourrel

tableau de Vincent le CroqueurCes quatre conférences ou « causeries », données entre 1980 et 1993, ont été réunies à titre posthume par les Éditions de Minuit, éditeur de Claude Simon depuis ses débuts. Grand lecteur comme tout écrivain se doit de l’être, et ne se posant pas comme théoricien de la littérature, au contraire d’Alain Robbe-Grillet auquel il est associé au sein de ce que l’on a appelé le Nouveau Roman, Claude Simon sillonne les chemins du texte, creuse dans un style clair et un phrasé goûteux, les interrogations qui furent toujours les siennes : mémoire, poétique, travail de l’écrivain. La première conférence « Le Poisson Cathédrale », où l’on voit qu’un poisson bouilli sur la table du déjeuner de Marcel « annonce (…) les premières mesures d’une vaste symphonie » est une puissante réflexion sur la description à partir de la lecture intime de la Recherche. La deuxième conférence explore les questions de la vraisemblance et de la modernité artistique. Les deux dernières « Écrire » et « Littérature et mémoire » interrogent plus spécifiquement les questions du pourquoi et du comment écrit-on. 

Après avoir refermé le livre, on ne peut s’empêcher de s’interroger : Pourquoi aurions-nous besoin de relire Simon, Proust et les autres ? Pourquoi les aimons-nous tant, toujours et encore ? La littérature du vingtième siècle que l’on dit avoir épuisé ses propres formes, nous obligerait-elle encore aujourd’hui à ne composer que de grossiers  palimpsestes pour qu’enfin puisse émerger, un jour, une nouvelle littérature, libérée de tout héritage ?

Quelques-unes des œuvres majeures de Claude Simon, prix Nobel de littérature 1985 : La Route des Flandres (1960), Les Géorgiques (1981), L’Acacia (1989), Le Jardin des plantes (1997),  Le Tramway (2001)

Illustration : Vincent le Croqueur, Dorade sébaste, 2009, huile sur toile
site de l'artiste

 


 

Je ne t'ai pas vu hier dans Babylone d'António Lobo Antunes, par Valéry Meynadier

« Parce que ce que j’écris peut se lire dans le noir. »

Je ne t'ai pas vu hier dans Babylone (couv)Écrit à l’encre de photons, ce livre physique (concentration exigée), métaphysique (l’âme flotte entre les lignes) et furieusement obsessionnel (des phrases entières reviennent de chapitre en chapitre) va faire de vous des aveugles.
Ça ne vous empêchera pas de rencontrer l’ancien tortionnaire qui habite Evora entre Lisbonne et l’Espagne, Ana Emilia dont la fille s’est suicidée, son mari torturé, exécuté (vous devinerez par qui). Vous suivrez l’infirmière à l’hôpital de la ville, vous entendrez les chiens en chaleur,  vous verrez  « qu’il n’y a plus de ciel à Evora, il y a un espace où des poteaux avec des fils, des branches, et donc il n’y a pas de ciel et Dieu n’existe pas quelle chance, s’il se trouvait qu’Il existe Il serait furieux contre moi. »
Ne cherchez pas les noms des personnages – ils sont rares – ni les points, ils endigueraient le rythme. De temps en temps un nom de ville : Evora, Lisbonne, Estremoz. Ne cherchez pas le narrateur, il s’est répandu en brisures de « je ».  Qui et quand n’ont plus lieu d’être dans le style d’António Lobo Antunes.

Dès le début, vous ne savez pas où vous êtes et qui est en train de monologuer ainsi sa vie. Au chapitre suivant, vous commencez à comprendre. C’est la Vie même qui monologue, qui ressasse, ininterrompue d’êtres en êtres, ce qui donne plutôt que des chapitres, des mouvements lents qui reprennent chacun la même mélodie. L’homme (pas de nom) qui faisait partie de la police d’État et qui a tué le mari (pas de nom) d’Ana Emilia flotte au gré des pages, refait surface dans les six vies qu’il a traversées, chant sadique, fidèle au régime en différentes variations. Ce livre aux temps emmêlés dans un grand froissement littéraire montre du doigt les ignominies de la P.I.D.E (Police Internationale de la Défense de l’État). Tous, les neuf vivants du livre, entendent « la nervosité de la chienne en chaleurs, c’est-à-dire mon corps au repos pour qui le verrait de l’extérieur et pourtant mon sang en ébullition, plein d’impatience, je dis à l’animal ou à moi-même, à nous deux : - Qu’est-ce que tu as ? »
Antonio Lobo AntunesEt soudain, vous entendez la chienne dans le lointain et vous vous sentez Vivant.
Ouvrir un livre de ce Portugais né en 1942 dans la banlieue de Lisbonne, c’est sentir la forêt vierge regarder par-dessus votre épaule. Il n’y a pas de repères, pas de narrateur, de passé, de présent, futur, rien qu’un grand flux de mots sonores, lumineux qui emporte et vous traverse.

Traduit du portugais par Michelle Giudicelli, Christian Bourgois éditeur, 2009

 

 

haut de page

Chronique art

Nature morte de Jean Fautrier (1898-1964),
par Marie-Lydie Joffre

« La peinture est une chose qui ne peut que se détruire, qui doit se détruire, pour se réinventer. » *

image extraite du film 'Phantom of the Paradise' de Brian De Palma

Au premier abord, Nature morte de Jean Fautrier saisit d’efflorescence charnelle rose écrasée ! Comment le peintre secrète-t-il la matière de ce qu’il nomme art informel ? Piège à prendre la réalité précise Jean Paulhan, critique d’art. 

Ici, il choisit un support de papier, marouflé sur toile, enduit à la diable d’une mince couche d’apprêt obscurci. Au centre, il bâtit un bas-relief avec une chaux de sa composition, à base de blanc d’Espagne et de colle. La pâte est étalée à la spatule, liée aux pigments, travaillée en glacis rutilants. Ce bloc viscéral passe par tous les états d’âme, du rose virginal au vert de la putréfaction, tandis que la pourpre dégorge du magma, migre dans l’ornière saumâtre de l’arrière-plan, devient ombre de sang séché.
Sous-jacent, le dessin initial des pommes - au pinceau à l’encre bleue - ne cesse d’être repris.
Il s’évanouit dans les plissements, sous la pression des grumeaux écrasés ; resurgit dans la frise d’ailes papillonnant de vert ; se réincarne en feuilles de céramique. Des pommes écarlates éclatent en caillots dans la crevasse à vif, d’autres carnées, déflorées, érectiles, échappent au supplice de pétrification pour se jeter dans la pénombre du vaisseau fantôme de l’inconscient, là où le profil aquilin de Fautrier, en figure de proue, les entraîne dans une fuite en avant.
Deux contours de pommes, tracées au pinceau sur l’enduit sec jusqu’à épuisement de la gouache, s’accrochent au cœur de la texture solidifiée. 

Fautrier mûrit ses projets mais peint à l’emporte pièce, comme pour se délivrer d’une charge. Quel tourment enfoui dans sa peinture ? Le retentissement dans sa chair des exécutions de résistants fusillés par les Allemands dans une clairière de Châtenay-Malabry, non loin de chez lui.
L’enragé se consacrera à des séries de portraits nommés Otages sur le principe d’un îlot de solitude qui étouffe les cris dans une épaisseur de falaise crayeuse.

* Citation tirée du texte  «Fautrier l’enragé » de Jean Paulhan
Pour en savoir plus sur l'œuvre de Fautrier :
Sur le site de l'INA : vidéo « Fautrier l'enragé »
A World History of Art : Fautrier
La tribu des Artistes - Marie-Lydie Joffre

Illustration : Nature morte (Les pommes à cidre), 1943, 65 x 91,7 cm
(œuvre exposée au musée Fabre à Montpellier dans « Les sujets de l’abstraction », du 8 décembre 2011 au 25 mars 2012 - reproduction à partir du catalogue de l’exposition)



haut de page

Entretien

La Casa Voce, entretien avec Flavio Polizzy, par Raymond Alcovère

Metteur en scène, comédien, chanteur et traducteur, Flavio Polizzy s’installe en France en 1983 pour travailler avec le Roy Hart Theatre. En 1991, il crée la compagnie Amadée et signe de nombreuses mises en scène. Depuis 2010 il dirige une collection de dramaturgie contemporaine française pour l’éditeur Angolo Manzoni de Turin. Pédagogue de la voix, il est également intervenant artistique dans les lycées de la région.

Flavio Polizzy

Parlez-nous de ce lieu que vous venez de créer à Montpellier, la Casa Voce ?
La Casa Voce est un lieu de création, de formation et d’expression dédié à la voix dans toutes ses articulations : le théâtre, le chant et la communication.  Il est aussi l'espace de répétition et de travail de la compagnie Amadée.

Laquelle est issue du Roy Hart Theatre ?
Oui, absolument ! Renata Roagna, artiste associée à la compagnie, et moi-même sommes professeurs au centre artistique Roy Hart à Malérargues, dans les Cévennes.

Quelle est la spécificité de la Casa Voce ?
Considérer la voix dans sa globalité, ne pas séparer la voix parlée de la voix chantée, l’art dramatique du chant. Notre pédagogie s’adresse à un public large : amateurs et professionnels, comédiens, chanteurs, enseignants, professionnels de la voix sous toutes ses formes.

La Casa Voce

C’est aussi un lieu de création ?
Oui, pour la première étape de travail de nos spectacles, mais aussi un lieu d’expression où on invite des artistes avec qui nous avons des affinités. La Casa Voce peut accueillir de 25 à 35 personnes ; l’espace, convivial, permet de rencontrer aussi des diffuseurs. On y organise des ateliers, des conférences : tout cela permet de croiser les publics, c’est ce que nous voulons, décloisonner.

Et vous, d'où venez-vous ?
J'ai habité à Turin jusqu'en 1983. Depuis mon appartement, on entendait toutes les cloches des églises du centre historique et on pouvait voir le Mont Blanc. Après avoir navigué entre Turin et Malérargues en Cévennes – siège du Roy Hart Theatre –, j'ai choisi de m'y établir et je suis devenu un parfait italo-cévenol.

Quel genre de programmation pour la Casa Voce ?
Elle est axée sur les « petites formes de théâtre musical », solo, duo ; les lectures en scène de textes de dramaturgie contemporaine. Il s’agit de passer du texte à une mise en espace scénique essentielle, une sorte de théâtre de chambre.
J’ai aussi le projet de faire de la Casa Voce un centre de ressources en créant une bibliothèque axée sur la voix et les textes de dramaturgie contemporaine à la disposition de tous. Et pour faire le lien encore avec le livre, nous développons en outre une collaboration privilégiée avec un éditeur régional  spécialisée dans le théâtre contemporain, les éditions Espaces 34, et la librairie Le Grain des mots à Montpellier.

Sur l’île déserte, quels livres emporteriez-vous ?
Difficile… par exemple, La Divina Commedia de Dante, le Livre de l’Intranquillité de Pessoa, les œuvres complètes de Racine… Et j’emporterais de la musique bien sûr : Billie Holiday et la trilogie Mozart/Da Ponte : Le Nozze di Figaro, Cosi fan tutte et Don Giovanni.

Flavio Polizzy

www.casavoce.com

haut de page

Arts plastiques

Sang d'encre, dessins de Pascal Nyiri

Rosa Rose

Pascal Nyiri est un animateur de radio, d'ateliers d'écriture et artiste total. Né à Paris en 1969.
Il raconte comment il a commencé le dessin au cours de l'hiver 1991 où il faisait trop froid pour sculpter, trop froid pour dormir. Avec Carole Petiteplume, ils se calaient près du poêle, en dessinant toute la nuit. Après, il a continué.
Il anime l’émission de radio 'Rimbaldies on tape' sur L'Eko des Garrigues 88.5. Également les soirées Pawol au restaurant l'Escapade à Montpellier, le premier lundi de chaque mois. 

Laurence l'OpiumSaint-Ex à Barcelone

Le Porteur de ballonIndian Child pensant à Sana

De haut en bas et de gauche à droite :
Rosa Rose
Laurence L'Opium - Saint-Ex à Barcelone
Le Porteur de ballon - Indian Child pensant à Sana
Élise pensant à Gaëlle

Élise pensant à Gaëlle

"Rimbaldies on tape" sur L'Eko des Garrigues

 




Rien que la peinture, de David Robesson

Élise pensant à Gaëlle

Élise pensant à Gaëlle

peintureOn nous dit que cet homme-là est un ange et quand on découvre sa peinture pour la première fois, on est tout prêt à le croire.
Un ange, oui. À l'image de ses créatures — bêtes et hommes —, légères, investies de couleurs vives et féériques, embarquées dans une chorégraphie sans fin à travers le cosmos.
Chevaux, dauphins, grands oiseaux. Sirènes, danseurs et Aladins.
Les corps sont beaux, souples et déliés. Parfois se touchent, s'accompagnent.
L'espace quasi liquide les enlace et les pousse à bouger comme des algues au fil des courants.
Une chose est sûre, David Robesson a été touché par la grâce à un instant de son parcours. En 2009 il parle de ceux qui fréquentent les galeries, spectateurs passifs de l'univers artistique : "Ils souhaiteraient apprendre du peintre alors qu'ils ignorent le constant besoin que la recherche de cet investigateur de l'âme nécessite… je dessine pour eux, et endiguerai toute ma vie le passage dédaigneux des autres".
S'il effectue des missions de conception et de design, ses recherches dans son atelier de peinture demeurent sa préoccupation majeure, essentielle.
F.R.

Élise pensant à Gaëlle

peinture


Œuvres : Huiles sur toile
De haut en bas :
Flotter, 90 x 140 cm
Sirène et Jonas, 130 x 130 cm
Nu, 90 x 140 cm
Acapulco, 130 x 130 cm
King Kong, 140 x 220 cm

 

 

haut de page

Parutions - février à mars 2012

février

Itinéraire de l'eau à la neigeJean AZAREL
Itinéraire de l’eau à la neige, poésie, Éditions Gros Textes, photographies de Gaspard. R
Le bord des rivières est une frontière entre deux mondes. Dans les rivières de plaine, au lit d’ordinaire assagi, l’eau coule et roucoule des heures tranquilles, rythmées par les saisons. Parfois, surtout après les pluies, une odeur mélangée de vase, mucus, petite mort, prima donna liquéfiée […]

C'était malgré nousCaroline FABRE ROUSSEAU
C'était malgré nous, roman, Éd. Prisma
Dans le Montpellier d'aujourd'hui, ce roman à plusieurs voix explore le poids d'un secret de famille lié au drame des "Malgré-Nous" alsaciens, pendant la Seconde Guerre mondiale. Il aborde des sujets intimes difficiles d'une grande actualité, entre vérité et souffrance. (la presse alsacienne  l'a associé aux commémorations du 70e anniversaire de l'enrôlement de force)

Saint-Paul et les FenouillèdesGeneviève GAVIGNAUD-FONTAINE
Saint-Paul et les Fenouillèdes : les racines de leur histoire, histoire locale, Montpellier, Orpèges, mai 2011
Dans un grandiose paysage de faille tellurique entre Gorges de Galamus et Clue de la Fou traversées par l’Agly, une abbaye s'est établie il y a plus de mille ans, en l’honneur de saint Paul. Comtes de Besalú et vicomtes de Fenolhet, seigneurs et châtelains d'alentour se montrent hardis à défendre l’un des bastions les plus stratégiques de la Chrétienté occidentale…

Pourquoi on grossitFlorence LUDI
Pourquoi on grossit, traduction française, auteur : Gary Taubes, Thierry Souccar Editions
Une enquête qui se lit comme un roman, autour du thème : manger peu de graisses, beaucoup de pain, pâtes, riz, pommes de terre… non seulement ne rendent pas les gens plus minces mais les font grossir et les rendent diabétiques.

La musicothérapieThierry MORATI
La musicothérapie, un état d’aptitude au bonheur physique, psychique et social, essai, collection bien-être spiritualité, Éd. Lanore
Spirituel, psychique, physique, l’être humain est un être tripartite, formé de l’esprit, de l’âme et du corps.


Les secrets d'une bonne concentrationFlorence VERTANESSIAN
Les secrets d'une bonne concentration, Jouvence éditions
Manquer de concentration, c’est éprouver une difficulté plus ou moins grande – voire une incapacité – à focaliser sa pensée sur un objet, une tâche déterminés. Il est possible de pallier ce déficit d’attention, ce à quoi invite ce livre via maints conseils et exercices adaptés aux adultes et aux enfants. La concentration… ça s’apprend !


mars

La grotte OursuMichèle BAYAR
La grotte Oursu, récit, éditions Kirographaires
1er mai 2010. Comme chaque année sur les hauteurs d’Opoul, les organisateurs de l’opération Chronodrome lancent des messages vers le futur et sondent ciel et terre dans l’espoir d’une réponse.
Pendant ce temps, leurs adolescents évoquent Ramon de Perillos, seigneur de Salveterre, réputé alchimiste, qui aurait trouvé une porte sur l’autre monde dans la grotte Oursu.

Le Règne des femmesPaula DUMONT
Le règne des femmes, conte philosophique, Éd. L'Harmattan, 2012





Au réveil il était midiClaude ECKEN
Au réveil il était midi, nouvelles, L'Atalante  
Des situations, évoquant des faits divers récents, sont prétextes à des histoires qui dénoncent la dérive progressive vers un avenir incertain. Une sorte de miroir de notre société où les ajustements imperceptibles la changent plus profondément que les grands bouleversements historiques. Autant d'occasions de réfléchir que de raisons d'espérer.

Planète PacifiéeFrançois SZABO
Planète Pacifiée, poésie, Obsidiana Press, 2012, réédition en e-book, préface de Jean Joubert, encres de Dimitri Szabo
« Planète pacifiée témoigne, une fois de plus et avec une certaine ampleur d’une longue aventure spirituelle. Art poétique, méditation dans un espace fertile entre prose et poésie, journal de bord d’un navigateur du rêve : tout cela à la fois, me semble-t-il, et aussi le désir de partager, puisque la poésie est, à ses yeux, chant salvateur, parole libératrice, possibilité d’une redécouverte du monde, sous un autre angle, et dans sa profondeur. » Jean Joubert

Stèles pour un signeAnne-Marie JEANJEAN
Stèles pour un signe, poésie, Éd. l'Harmattan, 2012 
À travers plusieurs dizaines de caractères archaïques chinois ayant en commun le signe de la femme, c'est l'histoire ancienne qui s'anime avec ses légendes. En questionnant le sens en  évoquant ces destins divers, le regard devient critique et cherche les résonances avec le monde actuel.

C'était malgré nousGuth JOLY
Dans le désert des hommes bleus, roman jeunesse, texte et illustrations, collection terres insolites, Éd. Belin

 

 

haut de page

contact ADA Languedoc Roussillon