Magazine
Conception graphique et webmaster : Pascal Steichen - Rivages Graphiques
Sommaire
n° 12 - février 2009
INÉDITS1 - Mon chien mental d'Élisabeth Legros Chapuis
2 - Connaissance de Jean Reinert
3 - Marcher de Bernard Mauric
BILLET
Grandir jusqu'où ? de Janine Teisson
CHRONIQUES LIVRES
J.M.G. LE CLÉZIO :
1 - Introduction : La profondeur du chant de Raymond Alcovère
2 - Le Procès verbal par Françoise Renaud
3 - Voyage à Rodrigues par Antoine Blanchemain
4 - Ritournelle de la faim par Anne Bourrel
ANNE MAILLÉ :
Glögg par Anne-Lise Blanchard
ENTRETIEN
Rencontre avec Behja Traversac, des éditions Chèvre Feuille Étoilée par Valéry Gabriel Meynadier
ARTS PLASTIQUES
1 - Peinture : Jacki Maréchal
2 - Photographie : Cathy Garcia
3 - Aquarelle : Lambert Savigneux
Prochain numéro : avril 2009
Ours
Comité de rédaction : Raymond Alcovère, Anne Bourrel et Françoise RenaudComité de lecture :
Antoine Blanchemain,
Dominique Gauthiez-Rieucau
Rédactrice en chef :
Françoise Renaud
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Index par rubriques
Index par auteurs et artistes
Éditorial
Ce monde rouge paraît comme parcelle sidérale, volet secret d’un univers baigné par plusieurs soleils qui se serait tenu jusque là hors de notre connaissance, simplement dévoilé par un matin de givre, une neige subite, un crépuscule ardent éloigné du piétinement des hommes.
Certains états de ciel nous relèguent à nos postes de visiteurs. À pas hésitants nous avançons dans la plaine de lave, voguons entre les récifs, regardons les brèches s’ouvrir pareilles à des fleuves. Un instant l’enchantement abolit la boue, la guerre, la peur, et la beauté éclabousse nos vies en suspens.
Rien qu’un instant.
Tout près, dans l’ombre, l’artiste poursuit sa quête : inlassable — essentielle. Car seule l’œuvre comble les yeux et donne du rythme au cœur. Mais combien de temps cette page pourra-t-elle continuer d’accueillir les arbres et les aurores, les cris, les météores et toutes les histoires jamais achevées…
Illustration : Corinne Leforestier, Un monde rouge, acrylique sur toile, 3 x 100 x 100 cm, décembre 2008. www.terracolorosa.com
Inédits
Mon chien mental, d'Élisabeth Legros Chapuis
Depuis la nuit dernière, j’ai un chien mental. C’est un husky, un chien de traîneau d’Alaska. D’ailleurs il s’appelle Alaska. Mais je ne le savais pas encore quand il est arrivé. Il s’approche de moi au rythme de ma respiration. Ses yeux bleu absolu me regardent avec bienveillance et fermeté. Je ne sais pas ce qu’il est venu faire là. En attendant, je suis censée le nourrir et le suivre là où il choisira de me conduire. Vers des espaces de blancheur infinie.
Une grande chance qui m’est donnée. Tout le monde n’a pas un chien mental. Personne ne vous dira que c’est facile. Car il existe trop de tremblements de terre et pas assez de raz-de-marée. Mais une fois qu’il s’est manifesté, impossible de ne pas en tenir compte. Parvenu au bord du fleuve, il lance un cordage vers l’autre rive et l’arrime solidement au tronc d’un peuplier. Il lui est facile ensuite de faire passer des ecchymoses de l’autre côté. Elles tentent en vain de s’échapper, mais le chien mental les rattrape en leur mordillant les banderilles. À chacune de ses victoires, il m’adresse un clin d’œil narquois.
À l’horizon, bordé par des rangées d’arbres filiformes, je distingue la silhouette des danseuses équipées de leurs costumes de barriques. Des ruisseaux de vin coulent à leurs pieds et elles chantent en chœur des mélodies d’une beauté déchirante. Je me recouds à gros points avec du fil à plomb, trouvé par chance dans le tiroir du bureau.
Le chien me regarde du fond de ses yeux bleus qui ne clignent jamais. Au coucher du soleil, ils deviennent verts et la nuit ils sont incontestablement dorés, mais je n’ai pas réussi à faire homologuer ce miracle par les experts du Vatican. Ils préfèrent passer leurs soirées à aller voir les spectacles du cheval fou. D’un chêne, du ciel, de la pierre et du tonnerre, descendent les messages codés. Mais pourquoi une cassure en plusieurs fragments serait-elle plus facile à gérer que la continuité spatio-temporelle du devenir ? Mon chien mental a son idée là-dessus.
Photographie : Aurore boréale, Lynn
Connaissance, de Jean Reinert
Mon ange vient me rendre visite dans la soupente où je gis, accablé de pauvreté, de fièvre et de soucis. Cette ange tente de me divertir en se moquant de la fatuité qu’engendre facilement le sentiment d’être beau ; ou bien celui d’être fortuné ; ou bien celui d’être fort de sa jeunesse.
Je lui réponds : « Mon ange, toi qui es belle, et riche, et toujours jeune, tu ne sais ni ce qu’est la beauté, ni la richesse, ni la jeunesse. Moi qui ai depuis longtemps perdu mon charme juvénile, je sais mieux que toi ce qu’est la beauté et la laideur. De même, étant devenu pauvre, je sais mieux que toi ce qu’est la pauvreté et la richesse. Et, à présent vieux et malade, je sais ce que signifient les vicissitudes de l’âge. Et aussi, mon ange, toi qui es immortelle, je sais bien mieux que toi ce qu’est la vie et ce qu’est la mort. »
Un peu déroutée, mon ange convient volontiers de ma suprématie sur ces questions. Elle se tait en me regardant ingénument, ne sachant plus, visiblement, comment me distraire de mon accablement. Puis me demande de quoi je souhaiterais m’entretenir.
« Nous pourrions parler du sexe des anges… Mais sur cette question aussi, je pense en savoir plus que toi.
— Non, me répond-t-elle. Moi qui connais les deux versants du sexe, je sais mieux que toi ce qu’est être une femme et ce qu’est être un homme. »
Illustration : fossile de poisson-ange, Jurassique
Marcher, de Bernard Mauric
Marcher. Se libérer de tout poids, de toute connaissance, de toute arrière-pensée. Courir même lorsque le soleil automnal est revenu pour nous surprendre et nous affamer de ses rais. Contempler le lointain et les proches, et les vapeurs qui se dégagent, embrument, irisent, diluent les données du paysage. Lorsque le souffle irrigue la poitrine et qu'enfin on lui prête attention, on le cajole, on lui redonne sa place. Alors que dans les étangs proches les oiseaux étourdissent l'air de leurs péroraisons douces puis aigres.
Ils sont là aujourd'hui, petits focs dispersés sur la pellicule d'eau saumâtre, joyeux, attentifs à la douceur du moment, leurs becs roses piquant parfois vers la vase. Au passage, des muges craintifs plongent en marquant la surface de cercles concentriques. Et parfois, rareté indicible sur la laisse des eaux, on peut voir la tête d'une tortue nageant avec vigueur, en quête de son bonheur d'être.
Pas besoin de terre lointaine, d'étendues immenses et sauvages patrouillées par des buffles, celle-là est proche et se donne avec aisance. Aux yeux, au torse, au nez. Parfums de fenouil et d'herbes des marais, mais aussi de vase croupie lorsqu'une haleine légère se promène sur les eaux.
Au loin, les collines immobiles de la Gardiole que dévore peu à peu la carrière de la Madeleine.
Moment plein et juste, dépouillé et néanmoins porteur de ses propres bijoux...
Illustrations : Étang de l’Armel et Étang de Vic, Bernard Mauric,
février 2008, dessins au Pentel
Billet
Grandir jusqu'où ? de Janine Teisson
Entendu à la télé : une jeune fille ayant aidé un psychopathe à découper en morceaux un jeune homme de 24 ans, dit, aux Assises de Beauvais, alors qu’on vient de lui annoncer qu’elle est condamnée à douze ans de prison : « Je pense que ça me fera grandir. Je suis trop influençable. »
Ma nièce de trente sept ans après un divorce calamiteux : « Je grandis, je grandis ! » Une autre nièce de trente deux, après une rupture difficile : « C’est douloureux de grandir. »
C’est étrange, autrefois on ne grandissait que jusqu’à vingt ans, c’est à dire qu’à partir de cette limite on n’augmentait plus de taille, on ne croissait plus, ne poussait plus en hauteur, on se développait en largeur si telle était notre morphologie et on mûrissait à l’intérieur si on en avait les capacités. On évoluait sans cesse au gré des expériences et réflexions que nous offrait la vie ou bien on devenait rapidement blet et caduque. Quoiqu’il en soit, si on avait dit à trente ans : « Ma grand-mère est morte le mois dernier, ça m’a fait grandir », on aurait étonné notre auditoire. Aujourd’hui, non, on grandit de plus en plus tard et pour toutes sortes de raisons.
Un proverbe provençal bien connu de Jeanne Calmant dit : « La vieille ne voulait pas mourir car elle apprenait toujours quelque chose ». Dirait-on à présent : « La vieille ne voulait pas mourir car elle grandissait toujours » ? Peut-être.
Mais jusqu’où ira-t-elle, la vieille ?
Photographie : Reflets d’automne sur la Vis (Cévennes), Claude Teisson
Chroniques livres
Jean Marie Gustave Le Clézio
Quatre livres, quatre voix pour les honorer… aussi des fragments du discours que Jean Marie Le Clézio a prononcé le 7 décembre 2008 à la fondation Nobel
« […] dans les années qui ont suivi la guerre, je me souviens d’avoir manqué de tout, et particulièrement de quoi écrire et de quoi lire. Faute de papier et de plume à encre, j’ai dessiné et j’ai écrit mes premiers mots sur l’envers des carnets de rationnement, en me servant d’un crayon de charpentier bleu et rouge. Il m’en est resté un certain goût pour les supports rêches et pour les crayons ordinaires […] »
La profondeur du chant, de Raymond Alcovère
Un des plus beaux textes que je connaisse est le début de Désert. Un de ces textes qui transcendent toute littérature ; quand, en l’espace de quelques phrases, on est immédiatement transporté, enlevé, envoûté ; quand une réalité qu’on ne soupçonnait pas apparaît sous la première.
En photographie on appelle ça « la profondeur de champ ».
J.M.G. Le Clézio est un de ces rares écrivains (lisez son discours de réception du Prix Nobel) qui nous emmènent ailleurs, mais cet ailleurs n’est ni lointain, ni inaccessible ; au contraire, il nous conduit plus profondément en nous-mêmes, vers des zones jusque-là inconnues qu’il nous permet d’explorer. Lire Le Clézio, c’est à travers son approche si originale et si libre de l’autre, mieux se connaître soi-même.
Le procès-verbal, 1963, prix Renaudot, par Françoise Renaud
L’exemplaire que je détiens est un livre de poche tout usé, racorni, pages de 10 à 49 détachées du corps du livre, certaines même déchirées. Il aurait pu faire partie des possessions de Adam Pollo, le héros.
Adam est un garçon qui erre entre plage et remblais, boit de la bière et poursuit des chiens ou des filles. Il squatte une villa dans ce pays où il fait chaud. « C’est la chaleur qui s’étend en ramures, qui rampe très bas sur la terre. Un souffle minuscule… » Il aime être nu sous le soleil. « … je voudrais bien vivre tout nu et tout noir, définitivement brûlant, définitivement créé. » Il fume, observe les insectes, écoute le silence. Il ne sait pas comment faire avec Michèle, cette fille qu’il aurait « forcée », en tout cas qu’il poursuit et à qui il écrit des mots sur des bouts de papier. Il écrit aussi des listes de courses à faire. Donc il traîne sans savoir quoi faire de sa peau et on traîne à sa suite. Pas de récit. Seulement succession de scènes. D’ailleurs on voit très bien cette femme qui se fait bronzer sur les rochers, la panthère du zoo dans sa cage, le noyé de plusieurs jours qu’on sort de l’eau. Les mots finissent par créer un espace étrange, morne et sordide. Au fond il ne manque pas grand-chose pour tout soit normal…
« La vie n’est pas logique, c’est peut-être une sorte d’irrégularité de la conscience… une maladie de la cellule… » Pas d’issue. Adam voudrait crier comme on le fait quand on est libre Mais il ne peut pas. « Le désespoir, au lieu de l’avilir, l’avait sculpté en effigie. » Adam est un rebelle. Adam n’appartient à personne. Mais il ne faut pas trop en dire, on risquerait de déformer ce qui se dégage des lignes. Comme une odeur.
« La solitude est aimante aux écrivains, c’est dans sa compagnie qu’ils trouvent l’essence du bonheur. C’est un bonheur contradictoire, mélange de douleur et de délectation, un triomphe dérisoire, un mal sourd et omniprésent, à la manière d’une petite musique obsédante. »
Voyage à Rodrigues, 1986, par Antoine Blanchemain
Sa haute stature, de froide apparence, sa façon disait-on d’être ailleurs, m’avaient tenu éloigné de lui. Jusqu’à ce que, prenant mon courage à deux mains, je me décide à acheter un livre de J.M.G. Le Clézio. Au hasard. Et je suis tombé sur Voyage à Rodrigues, dont il dit lui-même à la fin du livre : « C’est le seul récit autobiographique que j’aie jamais eu envie d’écrire ».
Au début, ce fut un peu difficile et j’eus quelque peine à pousser tout à fait la porte laissée entrouverte quelques jours.
Très vite, l’accumulation de détails géographiques comme autant d’émotions et leur précision extrême ont refermé sur moi un piège dans lequel je me suis laissé prendre sans baisser les yeux ni chercher à fuir.
Le fer aux pieds, je me suis laissé entraîner à mon tour dans la quête de ce grand-père, lui-même à la quête de ce qu’il croyait être un trésor dans cette île des Tropiques. Un trésor qui serait toujours au-delà. Au-delà de ce qui se laisse voir, au-delà de ce qu’il a pu imaginer, de ce qu’il n’a (pense-t-on) jamais trouvé, c’est du moins ce que finit par penser le petit-fils, un instant épuisé.
Trésor auquel devraient conduire et conduisent en effet toutes ces lignes entrecroisées, tous ces points, ces signes, ces symboles gravés dans la pierre de lave aperçus dans un lent, pénible et toujours renouvelé cheminement de l’écrivain lancé à son tour dans une recherche qui finira par le conduire vers lui-même, c’est-à-dire en aucun endroit précis, ou en tout cas accessible à quiconque d’autre. Une recherche qui porte un nom, le seul qui puisse être évoqué, et qu’on appelle Littérature.
« L’écrivain, le poète, le romancier sont des créateurs. Cela ne veut pas dire qu’ils inventent le langage, cela veut dire qu’ils l’utilisent pour créer de la beauté, de la pensée, de l’image. C’est pourquoi l’on ne saurait se passer d’eux. »
Ritournelle de la faim, 2008, par Anne Bourrel
« Rien ne peut s’exprimer sans la puissance du sentiment, et (…) l’âme
d’un chef-d’œuvre réside dans cette puissance de l’émotion ».
Diego Rivera, My art, my life.
Ritournelle de la faim est paru chez Gallimard en octobre 2008, quelques jours avant que l’auteur obtienne le Prix Nobel de Littérature. Dans l’interview qu’il a accordée à France Inter lors de la parution du livre, J.M.G. en raconte la genèse : une possible rencontre entre deux jeunes filles, sa mère, grande figure de l’œuvre depuis longtemps, et Nathalie Sarraute, immigrée russe (cf. Enfance) résidant dans le même quartier parisien. Il imagine qu’elles se sont croisées à la boulangerie…
JMG est avant tout un auteur de romans, il aime imaginer, danser avec l’Histoire. Il n’écrit jamais de mémoires ni d’autobiographies (même lorsqu’il écrit Diego et Frida en 1993, il fait aussi œuvre romanesque).
De la rencontre imaginaire entre sa mère et Nathalie Sarraute est née une seconde histoire : celle d’Ethel Brun et de son amie Xenia Antonia Chavirov, deux jeunes filles vivant à Paris avant-guerre. Dès lors, le roman a lieu…
D’autres vies se superposent, vies ordinaires, anonymes issues du réservoir imaginaire de l’écrivain. Des personnages s’imposent : Samuel Soliman le grand-oncle excentrique, le père Alexandre dilapideur de fortune à l’accent mauricien, Justine la mère réunionnaise, Laurent jeune anglais aux boucles rousses. Longtemps ils hanteront le lecteur une fois le livre refermé.
Ritournelle de la Faim, c’est un éventail qui s’ouvre et se referme sur un « je » biographique. Dans les plis, tout un monde imaginaire est créé. Quant au titre, il fait d’abord référence à la faim que l’auteur, né en 1940, a connu pendant la guerre et d’une manière si intense qu’aujourd’hui encore, elle « met une lumière aigüe qui (l’)empêche d’oublier (son) enfance ». La faim, c’est ensuite celle qui est contenue dans la musique de Ravel, dans ce Boléro martelant, entêtant, prophétique « qui raconte l’histoire d’une colère »…
« Lorsqu’il s’achève dans la violence, le silence qui s’ensuit est terrible pour les survivants étourdis. »
Ritournelle de la faim est un livre différent, beau, littéraire. Le Clézio continue à prendre des risques en même temps qu’il suit sa voie propre, écrivant dans la chair du terriblement humain, du humblement vivant. Son écriture, c’est la puissance de l’émotion.
Sur le web :
Le discours de J.M.G. Le Clézio sur le site www.svenskaakademien.se
Utube : J.M.G. says thanks in Swedish!
Illustrations - 1 et 7 : portraits d'archives; 2, 3 et 4 : photographies Gildas Pasquet;
5 : photographie de Claude Vincent; 6 : Paris, mai 68 d'Édouard Boubat
Glögg d'Anne Maillé, par Anne-Lise Blanchard
Vingt-quatre pièces indépendantes les unes des autres, pêle-mêle, constituent ce premier roman. Pièces d’un puzzle qui révèle dans les dernières pages la beauté de sa complexité. Dans les histoires d’Anne Maillé, on rencontre nombre de jumeaux, nains, boiteux, des animaux aussi. On y croise des pères et des mères qui ont perdu leurs enfants. Dans cet univers on aime évoluer de manière acrobatique dans l’eau comme dans les airs. Dans cet univers on règle ses comptes avec férocité. « Pour l’heure, arrêtée sur le bas-côté, à l’abri dans sa voiture, la tête sous un bonnet de bain, elle enfile la perruque noire. La main trace un trait sur ses sourcils. Elle se poudre le visage comme une geisha. Lèvres pourpres. Petite fourmi noire devenue rouge, dotée d’un troisième œil pour repérer sa proie : l’homme s’appelle Karagöz. » Ce livre est un espace à part. Et si « chaque livre est un cercueil d’oiseau », celui-ci est un cimetière qui nourrit la narratrice. « Dans mon rêve, ma mère m’a mise en pot. Elle me soigne et m’arrose. Mes racines plongent sous la terre, mes feuilles poussent à la lumière. […] Je suis la naine bossue qui pleure un peu et s’essuie le nez d’un revers de manche.»
Un roman qui renouvelle l’autofiction.
Glögg d’Anne Maillé, éditions l’Escarbille
Illustration : Vincent Rougier, site de l'artiste
Entretien
Behja Traversac, éditions Chèvre feuille Étoilée,
par Valéry Gabriel Meynadier
La maison d’édition est née le 18 janvier 2000 à Montpellier en même temps que la revue Étoiles d’encre. L’aventure se poursuit aujourd’hui grâce aux liens de cœur qui unisssent Maïssa Bey, Marie-Noël Arras, Edith Hadri et Behja Traversac.
Pourquoi ce projet ? Une volonté de rendre le monde au monde ?
Notre pouvoir est bien mince pour une pareille entreprise. Notre but : proposer nos couleurs en partage, celles des femmes en particulier.
Une maison engagée ?
Nous essayons d’être vigilantes et cohérentes, pas seulement face aux évènements, aussi face à ce qui entache trop souvent les attitudes et les actes humains.
Par exemple vous luttez contre l’excision, les mariages forcés ?
Bien sûr. Aussi contre l’interdiction faite aux femmes d’origine musulmane d’épouser un non musulman. La liste n’est pas exhaustive, loin s’en faut. Nous traitons des questions liées au corps et à son emprisonnement, aux mots et à leur violence, à l’exil...
Vos critères de sélections en tant qu’éditrices ? Le thème, la matière de l’écriture, la sincérité ?
En premier la sincérité, sans hésiter ! Les livres que j’ai le plus aimés, sont ceux où j’ai senti à chaque ligne une volonté d’authenticité dans les évènements rapportés et les sentiments décrits. Bien sûr, la qualité m’importe infiniment. L’écriture est une porte battante qui laisse entrer l’histoire et l’Histoire. Finalement, peu m’importe le thème.
Des nouvelles de la littérature en Algérie.
Peu de demande en littérature française à cause d’un lectorat restreint. Pourtant éditeurs et libraires se multiplient — peut-être un nouveau souffle ? Malgré tout, un auteur algérien francophone a plus de chance de se faire connaître (y compris en Algérie) s’il est publié ici plutôt que là-bas. D’une façon générale, la politique culturelle algérienne souffre d’une « maltraitance » inouïe, situation qui confère à la télévision une place de choix avec ses aspects positifs et ses dommages collatéraux.
Et vous, Behja Traversac, comment vous définiriez-vous ?
Difficile de porter un regard objectif sur soi-même. On m’a souvent dit que j’étais une contestataire incorrigible. Je me méfie des consensus, ils peuvent cacher les choses les moins dignes. J’ai toujours revendiqué une position de pionnière dans ma société d’origine. Un désir profond m’habite : m’approcher de la vérité, ne pas épouser l’hypocrisie qui pollue les relations humaines.
Seriez-vous un pont entre deux rives ?
Plutôt un « passeur » (je n’aime pas le féminin dans ce contexte). Un passeur qui poserait un regard déshabitué sur le monde. Un passeur… un simple passant… qui essaie juste d’y voir clair, d’avoir une attitude juste.
Pourquoi ce nom : Chèvre feuille étoilée ?
À cause d'un chèvrefeuille planté par Marie-Noël chez elle, à Sidi Bel Abbès, lorsqu'elle a quitté l'Algérie au moment des grandes violences. Quelques années plus tard, le chèvrefeuille avait proliféré : une grande émotion qu'elle a racontée dans un texte. Nous avons choisi ce nom et avec lui, toutes les étoiles du ciel méditerranéen.
illustrations : peintures d'Isabelle Marsala, site de l'artiste
Arts plastiques
Arbres, Jacki Maréchal
Jacki Maréchal a débuté avec une galerie de Madrid en 2005. Après l'exposition, son travail a été présenté dans des foires internationales (Italie, Hollande, Autriche, Belgique, France), ce qui l’a conduit à être exposé dans différentes galeries d’Europe (Espagne, Italie, Suisse, Allemagne, France). Deux événements récents auxquels il a participé : « Art en Capital » au Grand Palais à Paris et une exposition personnelle à la Galerie Laïk à Koblenz (Allemagne) en novembre 2008.
L’oxygène naît au sortir de la feuille.
À hauteur d’homme, la fulgurante beauté du tronc — et la répétition — qui scande, trait d’union d’un ailleurs qui se rend dans le creux de la forêt, ou qui donne présence à l’horizon.
Au-delà des fûts, le dénuement, l’hiver, qui révèle l’arbre.
Cathy Garcia — autour du rocher (photographies)
Ex-artiste de théâtre de rue, poète, revuiste, photographe et gribouilleuse autodidacte, éprise des paysages des Causses (où elle vit depuis sept ans).
Son œil est spontanément attiré par les tableaux qu'offrent les matières naturelles, visages ou paysages dissimulés sur une pierre, un tronc, un nuage, une ombre.
La beauté est partout et tout est dans tout. Suffit de tendre l’oreille intérieure pour entendre parler la pierre.
Poisson des sables (Bretagne)
Yin Yang
Aquarelles végétales de Lambert Savigneux
L'aquarelle, l'encre, les pigments…
Scruter la terre. La nature devient son atelier.