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Conception graphique et webmaster : Pascal Steichen - Rivages Graphiques
Sommaire
n° 11 - novembre 2008
INÉDITS1 - Premiers nylons de Marc Laumonier
2 - Je mouille d'Anne Bourrel
3 - Cette nuit de Nat Yot
4 - Anonyme euphorbe d'Anne-Lise Blanchard
5 - Équinoxe d'Annick Dénoyel
6 - Lendemain de Laurent Dhume
CHRONIQUES
1 - Le Goût des frivolités lascives de Raymond Alcovère
2 - Peau de Dorothy Allison - par Valéry Meynadier
INTERLUDE
Subliminal Oui-Oui de Lionel Blanchard
LES OUBLIÉS
Ma mère de Georges Bataille par Françoise Renaud
ARTS PLASTIQUES
1 - Photographie : Didier Leclerc
2 - Encres : Jean-Michel Fatou
3 - Photographie : Gildas Pasquet
Prochain numéro : février 2009
Ours
Comité de rédaction : Raymond Alcovère, Anne Bourrel et Françoise RenaudComité de lecture : Antoine Blanchemain, Jean-Claude Dana et Janine Gdalia
Rédactrice en chef : Françoise Renaud
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Index par auteurs et artistes
Éditorial
L’hiver arrive. Déshabillons-nous !
Sous la laine, le coton, les déshabillés moelleux, se révèlent des univers de peau, de fissures et frissons, de luxe insoupçonné…
Dans la tiédeur de l’alcôve ou la douceur capitonnée d’un canapé baudelairien, entre deux couvertures voyageuses ou bien à même la moquette du salon, s’expose la chair : joyeuse, douce, sucrée, exubérante, goûteuse. Le corps s’offre à qui sait avancer la main et allumer la lampe. Le mot s’illumine de ces plaisirs vibrants, de ces voluptés.
Vivons ces instants délicieux… littérature érotique… plaisir du texte…
Illustration : image extraite du film de François Truffaut L’homme qui aimait les femmes,
Place de la Canourgue à Montpellier, 1977
Inédits
Premiers nylons, de Marc Laumonier
Un jour ma mère entra dans une boutique avec moi — j’étais enfant — pour acheter des collants classiques couleur chair ; je ne crois pas l’avoir vue en mettre d'autres. J'étais là intimidé : affiches et photos aux murs et jambes à l’envers, pied tendu en l’air. Alors que ma mère hésitait entre deux couleurs que je trouvais quant à moi très proches, couleur chamois, chair ou bien saumon, le vendeur — un homme — fit quelque chose dont je me souviens aujourd'hui encore. Il entra subitement sa main dans un collant, écarta les doigts et fit jouer les mailles. Tour à tour il ouvrait puis fermait sa main pour enfin montrer son poing fermé, peau recouverte du textile, puis se dirigeait vers une fenêtre, montrant ainsi la teinte du collant à la lumière du jour.
Ma mère acheta deux paires de collants de la même couleur.
J’ai encore en moi le souvenir brutal de cette main d'homme pénétrant ce collant, comme une main voleuse ou violeuse caressant la peau de ma mère. Et j’éprouve une émotion particulière lorsque j'observe dans les vitrines des jambes féminines gainées — les bas et collants aujourd'hui sont encore plus attirants que ceux d'autrefois. De même je profite de mes errances dans les rues pour jeter un coup d’œil à ces jeunes femmes marchant en robe ou en jupe, robes courtes ou minijupes. Textures et couleurs m'intéressent. J'entends le bruit de l'acrylique : une espèce de crissement sensuel et attirant. Je sens les ongles qui accrochent, les mailles élastiques, pour moi un délice. Là furent à l’adolescence mes premiers plaisirs érotiques. La découverte du féminin, aussi le sentiment, sans doute, que mes parents étaient sexués.
Illustration : jambes « pop »
Je mouille, d'Anne Bourrel
À écouter : [le Flash Player est nécessaire]
Je mouille. Je suis un lac, tout un lac, avec toute l’eau dedans.
Je suis une mer toute mouillée, toute ouverte, jamais j’ai mouillé comme ça, jamais.
C’est dans tout le ventre, ça vient de la mouillure première, il y a dans cette eau de moi tout ce que je ne te dirai jamais, et en mieux.
C’est… je n’en peux plus et puis aussi je suis bien dans cette mouillure toute mouillée où je te retrouve alors que tu n’es pas là, et que je t’appelle, que je t’y conduis, que je te conduis là, ouverte et mouillée, où je suis une eau, un lac, toute la mer, viens, je suis mouillée de mouillure.
Je vois la pluie m’entrer dedans, depuis ma bouche jusqu’en bas je mouille.
Fichier sonore : musique, Gil Non ; voix, Anne Bourrel
Cette nuit, de Nat Yot
Cette nuit, il y a eu un tremblement de corps. Ici, chez moi. Tout a été dévasté. J’ai été touchée, trop. Ma peau en garde un souvenir rouge éclaté. Je voulais qu’il entre mille fois, il l’a fait. Jusqu’à ce que chacune des parcelles de mon corps ne puisse plus, sature, s’overdose. « Tu es la pire des choses que je connaisse » disait-il. Je riais et je criais aussi. L’épuisement faisait de nous des chiffons mouillés. Mon ventre me faisait mal à force de jouir. Les secousses étaient si fortes, comme pour dire au désir de se calmer. Ça va maintenant, tu exagères ! Tu n’en as pas eu assez ? L’excès n’a pas de sens. Je me tords maintenant. Je laisse résonner les caresses. J’ai froid dans tout ce désordre.
Illustration : Jean-Michel Fatou, sans titre, encre de Chine
et brou de noix sur papier, 27 x 36 cm
Anonyme euphorbe, d'Anne-Lise Blanchard
Je suis là, dans cette attente que je ne peux nommer. Me love sur mon ventre qui gonfle, répétant le lent accolement des contours, juste des contours, comme d’une éclosion dont on veut avant tout ce qui peut dans les nuits dures se préserver. Je me rassemble dans le chaud-froid de tes silences.
Une nuit minérale
dérobe tes mains quand en esthète tu
contemples
la face cachée de son petit exquis
ourlé de lymphe
l’appel secret de ses lèvres
À paraître aux Carnets du Dessert de lune.
Photographie : Claude Yvroud, écrivain vidéaste plasticien, À quoi bon des photographies de paysages nue, éditions Propos 2, 2008. Exposition 2008 à l’ENISE Ingénieur Youpi - Dirige la revue Canicula - Bourse « découverte » du C N L 2005
Équinoxe, d'Annick Dénoyel
Ça avait commencé par un remuement d’air à peine perceptible. Le gris du ciel, affalé sur le figuier, faisait davantage ressortir le gazon jauni. Pieds nus, penchée sur l’herbe, elle ramassait les fruits tombés confits. Certains vidés de leur pulpe avaient nourri une cohorte de petits coquillages, peut-être des oiseaux. La matinée était tiède mais par-dessous sa chemise de nuit, un souffle s’était soudain engouffré, glacé. Ses cuisses avaient fraîchi. La brise avait forci. C’était du vent qui maintenant caressait ses flancs, remontait jusqu’à sa taille, jusqu’à ses seins dont les mamelons se dressaient en boutons puis, par l’encolure largement échancrée, il s’en venait mourir effleurant son cou et baisant ses joues. Le tissu autour de son corps avait gonflé. Fleur à la corolle renversée, au pistil léché, d’un coup elle s’en était trouvée rajeunie. La peau raffermie. La vulve troublée. Elle huma cette fraîcheur soudain venue des nues. Voilà qu’on s’occupait d’elle, de façon si légère et subtile qu’elle renversa sa tête pour mieux offrir sa gorge. Elle écarta les bras, libéra les aisselles, pour mieux laisser passer, sous le coton, ce galant vent d’automne. Elle écarta les jambes. Son sexe en s’ouvrant eut un bruit de baiser, et le creux du nombril, pris dans sa mappemonde, sentit toute la force de l’équinoxe. Dans l’air planait l’amour, si doux. Elle se prit à rêver d’un second souffle également exquis. Mais les remous de l’atmosphère s’aggravaient. Il faut tondre, se dit-elle. Et elle le fit. Et dès qu’elle eut fini : la pluie et le jardin béni.
Le ciel vira au noir. Elle se mit à l’abri. Son esprit s’essaya aux choses de l'arrière-saison. Qui aurait pu comprendre que, dans le jardin, ce matin, un peu ivre et léger, le vent d’autan s’était levé et l’avait prise en vrille sous sa tenue de nuit ? Dans la fraîcheur de septembre, l’amour était passé, bandant et caressant. Et les forces du ciel de se déployer, et de se déchaîner. Et celles de son cœur. Puis le jour devint nuit et la nuit devint blanche. Il pleuvait des éclairs. Charges électriques. Raffut. Fracas. Tornade. En éclats tuiles, cheminées. Cabane et palissade. Pergola. Et le vieux chêne écroulé, arraché au rocher, déraciné. Sous la chemise le corps trembla et la colère monta : à chaque fois c’était la même chose, l’amour, au début si doux, si dur après. Elle se surprit alors à désirer l’hiver.
Illustrations : Miniatures de Frédérique Azaïs
Lendemain, de Laurent Dhume
ce matin bouffi, du sexe plein les yeux un anus en fusion au milieu du front
sa langue immobile dans sa bouche est un fouet qui sommeille, ses dents ses ongles ont cessé de racler les chairs ; de marbre et d'ivoire ils raniment l'air de rien les braises des nuits passées, et patientent les futures. Gémissements inaudibles. Au bout de ses doigts des toisons soupirent.
la ville, ses monts. La ville, ses vulves. Galeries de muqueuses aux tentures carmin, la ville enflammée est frappée d’apnée sent ses jambes flageoler. Remparts, boucles de ceinture, mugissements d'un autre âge : la bête rôde. Le sang piétine en sourdine. Le sang. Démons. Dragons. Des reins se tordent et songent à de la lave.
l'imagerie. Sa brûlure. L’imagerie et sa brûlure ne sont pas loin gouttent dans les veines courent sur les rétines et quelque chose galope peu à peu cet homme, cet homme ébahi, cet homme maintenant envahi par la horde des chasseurs et leurs kyrielles d’ancêtres qui sourdent et poussent et brament à consumer les temps au néant, consumer, les temps, par la chair pour la chair dans la chair. CONSUMER.
Illustration : Hokusai, le Rêve de la femme du pêcheur, estampe, vers 1820
Chroniques
Le goût des frivolités lascives, de Raymond Alcovère
« J’aime à la fureur », écrit Baudelaire, « les choses où le son se mêle à la lumière. »
Flaubert semble lui répondre dans Madame Bovary : « Elle se déshabillait brutalement, arrachant le lacet mince de son corset qui sifflait autour de ses hanches comme une couleuvre qui glisse. Elle allait sur la pointe de ses pieds nus regarder encore une fois si la porte était fermée, puis elle faisait d’un seul geste tomber tous ses vêtements ; et, pâle, sans parler, sérieuse, elle s’abattait contre sa poitrine avec un long frisson. » Les deux écrivains licencieux, à six mois d’intervalle, auront à subir les foudres du procureur Pinard (ça ne s’invente pas !), nous sommes en 1857. Ecoutons ce dernier : « L’homme est toujours plus ou moins infirme, plus ou moins faible, plus ou moins malade, portant d’autant plus le poids de sa chute originelle qu’il veut en douter ou la nier. Si telle est sa nature intime tant qu’elle n’est pas relevée par de mâles efforts et une forte discipline, qui ne sait combien il prendra facilement le goût des frivolités lascives sans se préoccuper de l’enseignement que l’auteur veut y placer. »
Flaubert sera acquitté, bénéficiant d’un bon environnement social. Il n’en sera pas de même pour Baudelaire. Six pièces seront condamnées : Les Bijoux, Le Léthé, À celle qui est trop gaie, Lesbos, Femmes damnées, Les Métamorphoses du vampire ; et il faudra attendre 1949 pour une réhabilitation par la Cour de Cassation. L’ami Pinard ne manquait pas d’intuition quand même, il aura réuni à sa barre les deux plus grands écrivains du siècle. L’un pour la prose : « Il devenait sa maîtresse plutôt qu'elle n'était la sienne... Où donc avait-elle appris cette corruption, presque immatérielle à force d'être profonde et dissimulée ? » L’autre pour la poésie : « Je suis mon cher savant, si docte aux voluptés, / Lorsque j’étouffe un homme en mes bras redoutés, / Ou lorsque j’abandonne aux morsures mon buste, / Timide et libertine, et fragile et robuste, / Que sur ces matelas qui se pâment d’émoi, / Les anges impuissants se damneraient pour moi. » Il ne lui aura manqué que Rimbaud — mais lui a toujours réussi à s’échapper — dont les derniers mots dans Une saison en enfer sont : « Il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps. »
Illustration : Auguste Renoir, Femme nue, 1876
Peau de Dorothy Allison, par Valéry Meynadier
« Je n’adhère à aucune religion mais je crois à l’impact continu des miracles », écrit Dorothy Allison dans un article intitulé La survie est le moindre de mes désirs (dans Peau, recueil de textes érotiques).
Dorothy Allison, née en 1949 en Caroline du Sud, nous parle de cul comme le pasteur nous parle de foi. Ce n’est jamais obscène. C’est miraculeux. Cette auteure pense la pornographie comme elle regarderait des pâquerettes... les cueille et nous les offre en bouquet.
Peau est le théâtre avoué de ses pulsions, elle passe à l’acte, de nouveau, dans les mots, pour témoigner de son sado-masochisme, nous parler de la petite culotte de sa mère, nous libérer dans ces aveux. Le godemiché est un joujou subversif dont il ne faut pas se priver. La masturbation, la moindre des choses.
Elle nous jette sa liberté entre les jambes et nous demande de faire la même chose, d’être nous, sexuellement nous.
Sachez mesdames, que vous n’en reviendrez pas indemnes, ni vous messieurs. Un grand texte laisse toujours des traces. Tatouage littéraire, une fois lu, il court sur votre Peau.
Éditions Balland, Le Rayon Gay, 1999 (USA, 1994)
Illustration : Marie-Lydie Joffre, Valéry, 2003, croquis d'après nu modèle vivant,
encre de Chine et calame sur papier, 24 x 32 cm, site de l'artiste
Les oubliés
Ma mère de Georges Bataille, par Françoise Renaud
Je retrouve parmi mes livres cette édition de poche aux feuillets jaunis. En page de garde, la mention Mai 78 portée au stylo bleu. Ce texte — publié en 1966 à titre posthume —, je l’avais découvert alors que j’apprenais le monde et cherchais l’accès à ces espaces furibonds qui augmentent le sentiment d’exister, et il m’avait ébranlée.
L’écrivain est maudit. Son œuvre traîne à sa suite une odeur de soufre, de transgression, d’obscénité et de rage. Ma mère, récit d’initiation, raconte comment une femme diabolique entraîne son fils de dix-sept ans à la dépravation. Douceur et violence alternent dans cette valse folle entre vin de Champagne, corps en débauche et gouffres extrêmes. La quête de l’ultime volupté ouvre sur le vide insaisissable de la mort : « J’avais le double sentiment de rire aux anges, et d’être à l’agonie et que du spasme dont je tremblais, qui me donnait la volupté, j’allais mourir. »
La révélation sur la conception du fils envoûte et pénètre le sang : « Tu viens de la terreur que j’éprouvais quand j’étais nue dans les bois, nue comme les bêtes… vautrée dans la pourriture des feuilles… quelle mère aurait pu te parler de la rage inhumaine dont tu viens ? » Pour ma part, je frissonne en lisant : « Cet éclat renversant du ciel est celui de la mort elle-même. Ma tête tourne dans le ciel. Jamais la tête ne tourne mieux que dans la mort. »
Le fantasme pourrait paraître à certains bourgeois et désuet en notre époque où l’ecstasy supprime les inhibitions, où le corps s'exhibe dans toutes ses tortures. Pourtant la démarche de ce philosophe dérangeant, apparentée à l’extase mystique, continuera longtemps de nous frapper et ses récits, où se côtoient le beau et le monstrueux, de nous hanter. Il laisse une œuvre philosophique riche et complexe.
Michel Foucault a dit : « Nous devons à Bataille une grande part du moment où nous sommes ; mais ce qui reste à faire, à penser et à dire, cela sans doute lui est dû encore, et le sera longtemps. »
Photographie de Marc Dantan, site web
Arts plastiques
Dunes, Didier Leclerc
La femme de sable...
Mer, mère des Commencements,
femme plissée de sable,
femme aux courbes salines,
femme dans l'écart
d'un noir éblouissant
où je m'immerge
jusqu'à enfantement...
Tristan Cabral, 2008
Site de l'artisteEncres Sumié de Jean-Michel Fatou
« À chacun ses rêves, à chacun son histoire… et toujours,
l’espoir de la rencontre. »
Songe
Matin d'août
Solitude
Technique Sumié d’après modèle vivant.
Pour les trois œuvres : encre de Chine, brou de noix et crayon gras sur papier, site de l'artiste
La Gestion des entre-peaux, Gildas Pasquet
Images 2003 avec Dan, modèle.
Mais qui es-tu, homme sans vêtements ?
Tournant la tête
Tu cherches encore.
Mais rien ne vient.
Tu es debout,
c’est tout.