Les poupées rusent, collection La Fille du poulpe (tome 4), polar, éditions Moby Dick, février 2025
Lorsque Gabriella apprend que son amie Zoya, réfugiée politique anarchiste, est soupçonnée d’avoir assassiné un colonel de l’armée ukrainienne dans les locaux d’une communauté EMMAÜS, sa priorité est de prouver son innocence. Mais quand elle débarque sur la côte atlantique ça sent le sapin, un comité d’accueil, composé de mercenaires du groupe Wagner, d’agents du FSB et quelques barbouzes locaux, l’attend pour en découdre. Débordée, elle appelle à la rescousse Le Poulpe, qui abandonne sa dégustation de houblon afin d’éviter à sa fille une mise en bière précoce. Commence alors, entre Le Donbass et la Tremblade, une bataille navale sans merci, au nom du père, de la fille et sans bikini…
découvrir ci l’article de BTN, L’Art-Vues, 11 février 2025
EXTRAIT (chapitre 1)
La Côte sauvage s’étendait sur le versant atlantique entre Royan et La Tremblade, coincée entre l’océan, les dunes et les sables mouvants. Au loin, à perte de vue, s’étendait une forêt domaniale composée de plusieurs variétés de pins, des pins sylvestres, des pins noirs, des pins Cembro utilisés dans l’ébénisterie, des pins d’Alep, des pins maritimes que l’on confondait souvent avec les pins de Calabre, des pins à crochets, des pins parasols pour leurs pignons comestibles et, plus rare, des pins de Salzmann qui intéressaient les scientifiques pour sa résistance à la sécheresse, dans l’éventualité d’un réchauffement climatique ricanaient les ébénistes climatosceptiques. Tous ces résineux dégorgeaient leur sève dans un maelstrom d’odeur qui collait à la peau. Au milieu de ce paradis du moustique tigre et des tarentules Lycosa, en bout de piste, une communauté Emmaüs avait pris ses quartiers une quarantaine d’années plus tôt. Composée de deux immenses hangars, d’un Algeco flambant neuf, qui faisait office de bureau et de cantoche et d’une vingtaine de caravanes dépareillées, l’ensemble faisait songer à un camping des années 60, au siècle dernier. Un 4×4 Dacia de la gendarmerie, fabriqué en Roumanie (le rêve de Nicolas Ceausescu, à l’image de la coccinelle d’Adolf), était stationné devant le bureau. Le gyrophare bleu, allumé, émettait un faisceau lumineux par intermittence. Dans l’un des hangars, équipé de tréteaux sur lesquels s’ennuyaient des milliers d’objets hétéroclites, chandeliers, cendriers, croûtes du dimanche, services ébréchés, couteaux émoussés, calendriers de routier et autres trésors, témoins de vies diverses aux multiples rebondissements, deux militaires en képi devisaient en compagnie d’un homme sans âge féru de jazz. Alors que le mélomane expliquait sa version avec les mains, comme les Italiens, les deux bleus ne l’écoutaient pas, leurs yeux fixés sur le sol en béton brut où une mare de sang frais terminait de coaguler autour d’un corps inanimé, attirant les mouches vertes et les taons. Les trois hommes se tenaient face à une imposante vitrine cadenassée, à l’intérieur de laquelle des bibelots de valeur et quelques bijoux plus ou moins fantaisie étaient exposés. Le cadavre était allongé sur le ventre, un sabre d’abordage planté entre les deux omoplates ; le même sabre avec lequel le capitaine Haddock faisait le pitre sur la couverture de l’album Le secret de la Licorne. Le flic le plus grand, visage anguleux, arborait quelques sardines sur ses larges épaules et répondait au titre de Maréchal des logis-chef. Les yeux braqués sur un larfeuille en cuir usé ouvert dans sa main calleuse, il vociférait.
— Bordel, il fallait s’y attendre, cette guerre de malheur s’invite sur notre sol, putain de Poutine !
— Il ne faut peut-être pas s’emballer chef, c’était sans doute un touriste, répliqua l’autre gendarme, une jeune recrue qui fumait du shit en douce dès que son supérieur avait le dos tourné.
— Un touriste avec des papiers militaires d’un pays en guerre ?
Le Maréchal des logis présenta le passeport du mort devant les yeux de son subalterne.
— Polkovnik, l’équivalent de Colonel dans l’armée de terre de l’ex U.R.S.S., tout comme aujourd’hui dans l’armée ukrainienne. Colonel Evgueni Lioupof, né à Zaporijjia le 1er avril 1969.
— Vous parlez ukrainien, chef ?
— J’ai des notions de russe, c’est kif-kif bourricot, un peu comme le petit nègre au temps des colonies.
— Alors peut-être qu’il venait acheter des armes.
— Et ta connerie élève gendarme Palaiseau, elle est en vente ou elle fait du tourisme ?
C’est ce moment que choisit l’homme sans âge féru de jazz, qui s’avérait être le directeur de la communauté Emmaüs, pour participer à ce qui s’annonçait comme les prémices d’une enquête.
— Nous ne vendons aucune arme, si je puis me permettre, sinon des canifs, des couteaux suisses à multiples lames et d’innocents sabres de décoration.
— Alors, il faudra songer à demander au Colonel Popof, s’il croit en l’innocence du sabre qui lui gratte le dos.
— Colonel Evgueni Lioupof, chef, pas Popof !
— Ne jouons pas sur les mots Palaiseau, Lioupof, Popof, c’est…
— Kif-kif bourricot !
— Je vois que ça commence à rentrer. Monsieur le directeur, sachez que ces sabres que vous vendez sont des armes de catégories…
— Je n’y connais fichtrement rien ! Nous ne vendons pas d’armes à feu, que je sache.
— J’espère bien. Ces dernières sont des armes de catégories A, B et C. Je ne vous explique pas la législation, les autorisations et les règles qu’impose leur possession. Mais n’ayez crainte, à l’image de ce katana japonais, que je vois là, vos sabres sont des armes de catégories D. Tout individu, à condition qu’il soit majeur, peut vous en acheter un sans être détenteur d’un permis de tuer. Je veux dire par là que vous n’êtes pas en infraction avec la loi, c’est un bon point, non ? Ce qui, bien sûr, n’explique pas pourquoi un Colonel de l’armée régulière ukrainienne se retrouve dans vos locaux avec un sabre d’abordage planté dans le dos.
— … C’est un peu votre boulot… non ? se permit le directeur.
— J’apprécie votre clairvoyance. Palaiseau, retournez au véhicule et appelez le bureau, pour savoir ce que fabrique le légiste.