Un texte pour saluer les martyrs de la laïcité.
– Hum ! hum…
– Y’a quelqu’un ?
– Oui, moi.
– Qui, toi ?
– …
– Tu ne réponds pas ?…
– Vous êtes Dieu, vous…
– Oui, je sais, je dois savoir qui tu es, mais ça ne te dispense pas de te présenter.
– Je suis ou j’étais, je ne sais pas ce que je dois dire… Abdelkrim… Marocain, musulman. J’avais vingt-huit ans, marié, une petite fille.
– Ta voix s’étrangle. Tu regrettes d’être ici ?
– Oui.
– Comment es-tu arrivé ?
– J’étais dans le train, je somnolais, la petite a mal dormi. Les dents… Ma femme m’a préparé mon casse croûte pendant que je buvais mon café, elle l’a mis dans mon sac. Elle m’a embrassé la joue légèrement, comme chaque matin et elle a eu cette façon que j’aime bien de faire quelques pas en arrière et de me regarder partir. La petite dormait. Et puis le train. Avec les vibrations j’entendais le bruit de l’eau remuée dans la bouteille. Elle l’a oubliée une fois, la bouteille, le premier jour, et depuis, plus jamais. Je souriais sans sourire. C’était à l’intérieur. A côté de moi il y avait une jeune fille en chemise rouge qui me lançait un coup d’œil de temps en temps et…
– Tu étais très croyant ?
– Non. Pas très. Au chantier je travaille avec des Chrétiens surtout, alors la prière, je la fais pas. Mais le Ramadan, oui. Ça, j’ai jamais manqué.
– Tu as douté de moi parfois ?
– Enfin, douté, je ne sais pas, mais…
– Tu m’as détesté ?
– On peut dire ça. Quand on était sur la barque dans la nuit et que le vent s’est levé, je me suis dit ça y est, je vais mourir. Je suis de la montagne, je ne sais pas nager. L’avant du bateau se soulevait, chaque fois on croyait qu’on allait se renverser. J’ai pensé « Allah, tu es injuste, je ne suis pas pire qu’un autre, pourquoi m’éliminer, moi ? Qu’est-ce que ça te rapporte ? » C’était idiot puisque me voilà, deux ans après. J’ai appris quelque chose sur cette barque.
– Quoi ?
– Que la peur est inutile. Quand j’ai été bien persuadé, au milieu de cette mer de ténèbres que nous n’atteindrions pas les côtes espagnoles, je me suis dit : « pourquoi m’encombrer de la peur ? » Et la peur est partie, comme les sacs qu’ils nous ont demandé de jeter à la mer pour alléger la barque pleine d’eau.
– C’est intéressant, ça. Tu m’as loué parfois ? Lire la suite…