Gherasim Luca : ZÉros en Lucaphonie, de Luminitza C. Tigirlas

Gherasim Luca : ZÉros en Lucaphonie, essai littéraire, éditions du Cygne, septembre 2024
Illustrations : Doïna Vieru, artiste-peintre

 

LUCAPHONIE est le nom que je donne à un univers poétique qui fascine comme le chant du serpent et dont on ne sort pas le même, car avec Gherasim Luca on se laisse aspirés dans le tourbillon langagier qu’il dirige en maître, tourbillon qui forme-déforme tout une glèbe phonétique vocalement et graphiquement. C’est le terrain d’un jeu-ravinement de vie et de mort avec le langage que le poète mène seul à seul, dans des corps à corps sensuels jusqu’à l’animalité du cri et souvent dans la fureur de l’ironie. C’est le Trou de sa dette de nom, de père et de perte. À dix-sept ans Salman Locker de Bucarest s’autoproclama Gherasim Luca (1913-1994). Une lignée de suppléance s’invente au cours des années pour le poète, orphelin du (Z)Eros qui fait Un avec le Trou d’obus où fut déchiqueté son père. L’aboutissement auquel tend le poème proféré L’Autre Mister Smith, poème qui m’interpelle tout particulièrement, serait celui d’arracher le nom (de) Gherasim Luca au vrai-Gherasim Luca dans le combat entre les deux entités…

lien vers les éditions du Cygne

Le dernier cerceau ardent, de Luminitza C. Tigirlas

Le dernier cerceau ardent, poésie, éditions du Cygne, Paris, septembre 2023
dessin de couverture de Doïna Vieru

 

Ce neuvième livre de Luminitza C. Tigirlas est composé de 4 suites de poèmes en vers et en prose. Leur souffle est rythmé par les réverbérations d’une langue intime déchiquetée entre deux alphabets, entre deux rives : « Avant que la glace ne dentelle la voix de Pyreta-rivière, l’Aiguilleur-du-Ciel-sonneur, qui n’est pas toi, l’ensemence de poèmes émiettés en feux-follets. Leur respiration fait fondre la frontière. »
La poète traverse une mémoire vibratile, sa voix hèle un brin de matricaire dans les fanges temporelles — approchez mains nues, ne tirez pas !

 

 

EXTRAIT

À l’aiguillage d’une ligne de feu
— ligne d’alphabet —
ma main rate le tournant
vers l’armoise
L’horizon des mots se courbe,
son pourtour ardent
est mon cerceau de survivance
Le fauve humain se hérisse devant
la honte rouge ploie mon dos :
j’atteins le saut —
en mille éclats il m’engage
L’ouvrage de mes jours s’exfolie
il répond par une dernière ligne
— langue à trous —
Par-delà, Dieu reprend l’aiguillage :
il est aussi transfuge dans la béance

 

Par l’aiguille du sel, de Luminitza C. Tigirlas

Par l’aiguille du sel, poésie, éditions du Cygne, Paris, 2021
Image de couverture : Doïna Vieru

Les textes ouvrent le mot Sarmatienne que la mère prononce, elle sème ses paroles dans les sillons antédiluviens, à savoir les traces salines de la mer asséchée des Sarmates. Le sel figure une morsure du sensoriel, de tous les sens de l’humain et de l’inhumain, de la bête sommeillant et se lignifiant en nous comme dans les sarments des vignes, il se dépose aussi dans les lacrymatoires qu’on y accroche au printemps… Le sel grignote la fibre langagière transmise par Sonya, l’aïeule d’une lignée, d’un alphabet proscrit et d’une Mer Sarmatienne refoulée.

 

En Moldova post-sarmatienne / le nom du sel / s’éternise dans le sanscrit : sare / Dites en longueur sa-a-are… e-e-e… / et le mot devient sacré. Avec ce vocable de l’enfance d’autres toponymes salins transportent la poésie pour faire vibrer sa nouvelle langue : Mon souffle titube / devant le Quercy blanc

 

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