J’ai reçu une lettre.
De Dieu.
C’est sympa. D’autant plus que je ne crois pas en lui.
Mais lui a l’air de croire en moi. C’est sympa.
Cher René,
— vous voyez qu’il me connaît bien et qu’il est vachement sympa —
comme je sais que tu vas parler devant les cournonsécoises et les cournonsécois et que Cournonsec est le centre du monde, je sais ainsi que mon message sera entendu dans le monde entier et même au-delà, ce qui n’est pas la porte à côté.
Voilà donc ce que par ta voix je veux que tu clames urbi et orbi :
J’en ai assez, écrit Dieu, I am fed up, Ich bin satt, wǒ shòu gòu le, basta cusì, sono stufo, het moe zijn, mella fada, estoy cansado, unzari da, ¡ Estoy hasta la coronilla ! J’en ai plein mon casque ! Qué ney artéro ! N’ai un sadole ! Ras le bol, la casquette, lou capel et tutti quanti !
J’en ai marre de tous ces gens qui parlent à ma place, de tous ces gens qui veulent nous protéger, mes prophètes et moi, comme si je n’étais pas assez grand pour le faire moi-même ! J’en ai ras l’auréole de ces gens qui brûlent les cinémas ou les théâtres ou les livres parce qu’ils pensent que je suis trop faible pour le faire moi-même ! J’ai ras le triangle du dessus de ma tête de tous ces gens qui tuent d’autres gens en braillant : « Dieu est tout puissant » et « On a vengé le Prophète » et qui ne se rendent pas compte qu’en disant cela ils donnent de Dieu l’image toute riquiqui d’une simple idole de pacotille qui a besoin de neuneus exaltés pour le défendre contre ces terrifiants dessinateurs au crayon entre les dents et au rire satanique ? Si je suis tout puissant, ai-je vraiment besoin de ces imbéciles meurtriers qui montrent par leur action même mon inexistence ? Et si je suis tout puissant, ils ne se sont jamais posé la question de savoir pourquoi je n’ai jamais envoyé mes foudres célestes sur tous ceux qui m’ont brocardé ? Pourquoi je n’ai pas foudroyé Socrate, Galilée, Molière, Voltaire, Diderot, Da Ponte, Mozart, Shalman Rushdie, Reiser, Cabu, Wolinsky, Charb, Tignous et tous les autres ? Je vais te le dire à toi et à Cournonsec, c’est parce que leurs textes et leurs dessins m’ont fait penser et réfléchir et surtout me marrer, rigoler, me poiler, rire enfin ! Et qu’au paradis, moi, Dieu, Jéhovah, Allah ou n’importe quel nom dont on m’affuble, je préfère la compagnie d’Aristophane, de Rabelais, de Swift, de Pierre Dac et de Francis Blanche, de Coluche ou de Desproges à celle des Torquemada, des Khomeiny, du Vieux de la montagne et de ses assassins, de Nathan Bedford Forrest et de son Ku Klux Klan, de tous les inquisiteurs stériles, coincés et impuissants que -c’est entre nous, René- j’ai envoyé rôtir en enfer. Là où je vais me faire un plaisir d’envoyer les petits cons tragiques et mécréants qui vous rassemblent.
Le rire est le propre de l’homme mais c’est aussi un plaisir de dieu.
Illustration : Dessin de Christian Cabanes.