John Locke, Carnet de voyage à Montpellier et dans le sud de la France, 1676-1679
Presses du Languedoc – 2005
Avignon
Notre-Dame
Saint-Pierre
Célestins
MERCREDI 1er JANVIER 1676. L’église de Notre-Dame se dresse au sommet d’un rocher qui domine la ville, à côté du Palais [des Papes]. Le chœur de l’église Saint-Pierre est très riche en ors et en peintures. L’autel de l’église des célestins l’est aussi, et leur couvent, qui est très grand, est très bien tenu. Il y a des roses en fleurs à cette période de l’année, et on nous a servi des petits pois, fort peu cependant, entre cette [ville] et Lyon. Il faisait si chaud ici que nous avons dîné la fenêtre ouverte, et sans feu. Le vice-légat s’est rendu à l’église des jésuites accompagné d’une garde de 12 suisses.
Juifs
Ici les juifs ont un quartier qui leur est réservé, où se trouve leur synagogue. Ils habitent l’endroit le plus sale et le plus malodorant où je me sois jamais trouvé, et ils sont tous vêtus comme des mendiants, bien que l’on nous ait dit que certains d’entre eux étaient riches. Ils portent des chapeaux jaunes pour être distingués [des autres], comme c’est le cas à Orange où vit une douzaine de familles juives .
Le Rhône
On peut voir ici les quelques arches encore debout d’un pont qui avait été construit de la même manière que celui de Pont Saint-Esprit mais qui s’est écroulé il y a quelques années. Pour encourager sa reconstruction, on a installé sur le quai (qui est très beau) la statue d’un certain Saint Bénézet, berger qui avait construit le premier pont. Il arrive au Rhône d’être très turbulent. Ainsi, vers la mi-novembre 1674, il est monté plus haut que la tête de la statue d’un évêque installée sur le quai, et qui je pense dépasse de 15 pieds le niveau actuel de l’eau. En même temps, il submergea toute la plaine autour de Saint-Esprit et en fit un lac. Nous avons vu des traces de cette inondation en cours de route, à bonne distance du fleuve.
Avignon est gouvernée par un vice-légat. Le vice-légat actuel est Carolus Anguisciola de Picansa, un gros homme de bonne mine. Son emploi lui rapporte cinq mille livres sterling par an. Cette région, qui mesure de long et de large, ne paie pas de taxes. Il y aussi un archevêque ici, Jacinto Libelli de Perugia. Ses revenus sont bien supérieurs à ceux du vice-légat mais c’est à ce dernier que les dons faits par les églises vont tous.
La fabrication de la soie est la principale activité de cette ville, qui est plus grande que toutes les villes [traversées] depuis Lyon. Les gens y paraissent plus aisés, la ville semble plus florissante et les rues en sont larges. Nous avons passé ici une journée entière et nous avons payé une livre par repas par personne, une livre la nuit pour nos chevaux, et 10 s. par jour pour le domestique de M. Charleton.
2 JANVIER 1676, JEUDI. Nous avons traversé le Rhône en partie dans le bac à traille, une sorte de ferry que l’on trouve couramment dans ces régions, et en partie par ce qu’il reste du pont, au bout duquel nous avons payé un octroi de 3 s. par personne et 3 s. pour nos bagages. On n’a pas fouillé ni regardé ce que nous transportions, comme nous nous y attendions, notre voiturin nous ayant fait passer pour des Suisses.
Pont du Gard
De là nous sommes allés au Pont du Gard, à 4 lieues au travers de collines désertes et rocailleuses, plantées de thym sur une bonne partie du chemin, et de vallées caillouteuses. Le pont est un admirable ouvrage d’art (voir sa description dans Le Voyageur d’Europe, p. 144, 8°, Paris, 1672). Au cours de notre voyage, aujourd’hui, nous sommes passés près d’un bosquet de chênes, qui n’étaient pas de belle qualité. C’est le seul endroit depuis Lyon où nous ayons vu du bois qui puisse servir à la construction. Certains des arceaux du Pont du Gard, ceux de la seconde rangée, font 30 pieds de large.
Parmi les endroits mémorables, les latrines des célestins à Avignon.