éditions Grand Sud, Albi, 2014
Le Chien Bleu de Gascogne
Un précieux auxiliaire…
Outre la chasse d’agrément pour se nourrir, la chasse aux prédateurs loups, renards, sangliers, chevreuils, dévoreurs de récolte ou de troupeaux (quand ils ne s’attaquaient pas aux humains…) occupent nos Gascons. Pour les seconder dans ces traques, des lignées de fins limiers s’illustrent et plus particulièrement les chiens Bleus de Gascogne. Leur robe blanche truitée et mouchetée de noir aux reflets bleutés explique la dénomination de la race. Des marques de feu sur la joue et sur les pattes ainsi qu’une gorge profonde distinguent encore ces chiens dont les longues oreilles « collent » si bien à la quête. « Il faut avoir entendu, une fois dans sa vie, une meute de Bleus sur les coteaux gascons, un matin d’automne, poursuivre majestueusement un lièvre bondissant à travers les halliers dorés… », raconte l’écrivain cynégétique Jean Castaing.
Le Sud-Ouest revendique plus d’une douzaine de races soit à peu près le quart des races françaises. Six d’entre elles comptent dans leur nom l’appellation Gascogne : Grand Bleu de Gascogne, Petit Bleu de Gascogne, Basset Bleu de Gascogne, Griffon Bleu de Gascogne, Grand Gascon Saintongeois, Petit Gascon Saintongeois. Elles appartiennent au groupe des chiens courants, elles constituent selon Annick Audiot (Conservatoire du Patrimoine Biologique Régional de Midi-Pyrénées, INRA, Toulouse) une population très ancienne n’ayant pratiquement pas subi de croisements avec les races anglaises et demeurée proche du vieux chien courant continental essentiellement français.
La légende attribue à Gaston Phébus (1331-1391) la création du chien Bleu : lors d’une expédition dans le nord de l’Europe, vers les Flandres, il aurait ramené des chiens de l’abbaye de Saint Hubert, qu’il aurait croisé avec ses chiens béarnais. Ainsi serait né le chien Bleu de Gascogne.
Or certains auteurs mettent en avant des évènements antérieurs : ils assurent que le frère d’Eudes d’Aquitaine (658-727), passionné de chasse, amena ses propres chiens dans les Ardennes quand il partit épouser la fille du comte de Louvain. Là, les conseils de Saint Lambert le guidèrent finalement vers la sainteté pour devenir…Saint Hubert ! Ainsi donc les chiens élevés à l’abbaye de Saint Hubert, trouvés par Gaston Phébus, avaient déjà du sang gascon !
Élevé en meute, le Bleu de Gascogne s’illustre dans la chasse aux loups, ours et sangliers. Plus tard Prosper de Ruble et M. de La Roque-Ordan sélectionnent le bleu qui compose les équipages du XIX ème siècle, à partir de la variété noire du chien de Saint-Hubert, déjà utilisé par Gaston Phébus, croisé en 1837 avec le saintongeais de M. de Saint-Léger et les chiens de M. de La Roque-Ordan. C’est alors l’apogée de la chasse aux loups en Gascogne tant dans le Gers, les Landes et la Gironde, grâce aux Grands Louvetiers Gascons : Hubert de Brivazac de Beaumont, Emmanuel François Grossolles-Flammarens, Baron Prosper de Ruble, Ernest de Galard Magnas, Hippolyte de Bon, Mr de la Roque-Ordan… Ces héros aménagent de vastes chenils pour abriter leurs meutes de Bleus de Gascogne et s’engagent dans la destruction des loups, renards, blaireaux, fouines et autres bêtes nuisibles. En 1850 le dernier loup traqué dans le Gers, entre Fleurance et Lectoure, aurait été abattu quelque part dans le Bas Armagnac alors que, dans les Landes, un solitaire se réfugie encore dans les barthes et les bois de Nerthe entre Saint-Paul et Magescq. (lire La traque aux derniers loups du Gers, Georges Courtès, BSAHLSG n° 408)
Un siècle plus tard, avec un groupe d’éleveurs aussi convaincus que lui, Jean Abadie participe à la sauvegarde et l’amélioration de la race des Bleus de Gascogne. Ce passionné de chasse et d’équitation crée son élevage au quartier du Pelon près de Mirande en Astarac. Et c’est sur les coteaux gascons qu’il entraîne ses champions dès l’âge de trois mois. Ces chiens courants étaient surtout employés pour la chasse à courre et donc élevés en meute. La diminution de cette pratique les a orientés vers d’autres emplois. Ce sont d’excellents « rapprocheurs » de sangliers (prédateurs qui mettent tout l’environnement gascon à contribution, maïs, blé, avoine, châtaignes, glands jusqu’aux raisins !!!). Ils sont aussi prisés pour la chasse à tir du lièvre et du chevreuil.
Alors que la race semblait avoir disparu, Jean Abadie, éleveur émérite, recrée le Basset Bleu au bout de dix ans de judicieuse sélection. En 1969 il présente avec succès les premiers géniteurs, César et Fanny, à la grande exposition canine de Paris. Ces Bassets Bleus seront estimés tant pour la chasse que pour la compagnie. En suivant, il participe au renouveau du Club des Bleus dans le Sud-Ouest et à la création et au développement du Griffon Bleu de Gascogne. Encore un chien à l’image des Gascons, endurant et courageux, éloquent et loyal. Le dernier né, le Basset Griffon Bleu, est particulièrement adapté à la chasse au sanglier pour les sociétés de chasse possédant un territoire de chasse limité. Une ascendance de limiers ardents à poursuivre le poil, le rend, malgré sa taille, assez hardi pour affronter le sanglier « au ferme ».
Jean Abadie valorise la qualité des Bleus de chasser en groupe en organisant des concours de meutes (chasse sans fusil) : les juges, durant deux heures, suivent chacun leur meute et notent les performances (obéissance, relation à l’homme, aptitude à rapprocher, à lancer, à mener, à donner de l’intensité sur la voie…). Une occasion de découvrir une tradition séculaire. Les lauréats des concours sont qualifiés pour le championnat régional qui ouvre les portes au championnat de France où le chien Bleu est bien placé !. « Le chien bleu, c’est la noblesse, le panache, la trace de d’Artagnan au bel habit bleu lui aussi ! »
Jean Abadie a su transmettre sa passion pour sauvegarder les races anciennes : son fils Xavier, chantre des volailles festives de Noël, a œuvré pour la poule noire gasconne à crête rouge dont les chapons (engraissés au lait et au maïs comme le faisaient nos grands-mères), servis à la table du Président de la République, quittent désormais le Gers habillés d’un torchon teint au… bleu de pastel! Encore la casaque bleue des Mousquetaires…