…/… Je décide de surseoir à toute autre investigation (Je sursois très bien, une autre forme de procrastination, j’ai souvent sursis, pour le service militaire, pour une petite peine d’emprisonnement aussi, un sursis c’est toujours bon à prendre) et je pars « réfléchir » au bistrot du quartier où je bois mon petit jus du matin. Je jette tout de même un œil inquiet à tout ce qui mire, reflète, renvoie, incidemment ou directement, une image de moi. C’est bon, y’en a, plein, des mire-moi. Pavés lustrés du hall, rétroviseurs des voitures alignées le long des trottoirs, glaces et vitrines de la rue, grand miroir du bar, lunettes de Gégé, métal argenté d’une salière oubliée, reflets bombés des deux côtés de la petite cuiller, je peuple dignement mon monde d’inversions plus ou moins déformées de mon moi encore un peu inquiet. Avouez qu’il y a de quoi ! J’en suis là et j’en suis las. Il ne me revient pas d’histoires de reflets qui se sont barrés de leurs miroirs ou bien de miroirs fatigués de refléter leurs propriétaires. Il y a bien les vampires que la mythologie hollywoodienne prive du reflet allégorique de leur âme disparue. Il y a bien Alice qui passe de l’autre côté. Il y a ceux sans tain qui dissimulent des voyeurs, psychopathes, profilers, inspecteurs et autres lance-flammes vengeurs. Il y a bien des choses en plus, en plus ou moins malveillant, malvoyant, qui apparaissent dedans, mais en moins…Je ne vois pas. Comme j’ai la chance ( ?) de ne pas avoir à aller bosser à l’autre bout de la ville puisque mon bureau c’est chez moi, je rentre au boulot. J’ai deux ou trois papiers à la con à écrire sur des glaces tendance en pots tendance dont le glacier-tendanceur n’a pas eu la délicatesse de m’en faire livrer quelques échantillons. Je vais improviser. Tant pis pour lui. Le miroir de mon couloir me renvoie poliment une image matinale dans laquelle, bien qu’habillé, je reste gris et fatigué. C’est un bon début de retour à la normalité. J’ai dû laisser la lumière allumée au-dessus du miroir vide la salle de bains car un rai lumineux filtre sous la porte…Je prends mon courage à deux mains (en vérité, pour ce que j’en ai, je pourrais aussi bien le pincer entre deux doigts), j’ouvre et décide d’en avoir le cœur et les yeux nets. Je ne comprends pas tout, du premier coup, tout d’un coup… Je vois…Je me vois ! Me déshabiller, entrer dans la douche, pisser sur la bonde (disons que ça vous ne l’avez pas vu), ouvrir l’eau, me savonner, me rincer, me sécher, puis me pencher vers le grand miroir scellé au-dessus du lavabo, essuyer la buée et me regarder, ébahi ! Ce con de truc m’a enregistré et il se repasse la scène. Je suis devant et maintenant je me vois en train de tenter de me voir, hagard, cherchant des yeux mon regard ! Alors je crie et je m’enfuis ! …/…
(à suivre)