Je ne cours plus après mon ombre, de Jeanne Bastide

Je ne cours plus après mon ombre, roman, éditions Domens, août 2024

 

La petite fille ne court plus après son ombre. Elle s’y repose. Soupèse le poids de l’enfance. Recompose un univers.
Travail de débroussaillage pour arriver à recoudre toutes les ombres.

 

EXTRAIT

Il y a les jours où j’ouvre la main et je les sens. La paume vers le ciel, je soupèse leur présence. Ce n’est pas lourd – pas léger non plus. C’est là, à mes côtés. Une énergie qui prend appui dans la chair. Ce qui circule en moi et que je ne connais pas. Je sais que je les porte.
Sans pouvoir les nommer. Ne pas leur donner forme.
C’est là.
Une présence emmagasinée,  un élan… que je ne possède pas.

Parfois je les appelle. Toutes.
J’ouvre la main et je les sens. La paume vers le ciel, je soupèse leur présence. Les jours où le vide a pris trop de place. Je les appelle. Elles sont là.
Sans qualificatif. Sans verbe d’action.
Pure présence.

Celle qui a travaillé la terre   pour les propriétaires, qui a cousu pour les riches et qui n’a pleuré que pour elle
Celle qui est restée emmurée    dans sa chambre pendant vingt- trois ans quatre mois et douze jours
Celle qui a davantage aimé son mari mort que vivant
Celle qui pose pour la photo  – raide et empesée – son nouveau-né sans les bras
Celle qui a osé se peindre les ongles en rouge sang
Celle qui raconte    pour le plaisir d’ouvrir ses cicatrices et de raviver ses blessures
Celle qui rêve sa vie plutôt que de la vivre de peur de salir ses pensées
Celle qui n’a pas le temps d’éplucher ses sentiments, ni le loisir d’aller au vif de sa brûlure
Celle qui parle sans s’arrêter pour ne pas se poser  la question de ce qu’elle a à dire
Celle qui aimant trop les hommes a oublié qu’elle en a un
Celle qui, consciente de l’urgence de la tâche, les bras chargés d’enfant, de lessive et de pot-au-feu  – a dérobé    le droit  à la souffrance
Celle qui enveloppe sa peine dans du papier journal  comme des pelures de pommes de terre.

Je me souviens d’elle. J’étais encore enfant.
Suzanne. La voisine d’en face. Maman et mes tantes. Germaine et Adélaïde. Oui, c’était leurs noms.[…]

Un monde de toutes les couleurs, de Chloé Millet

Un monde de toutes les couleurs, album jeunesse, éditions Lire c’est partir, 1er septembre 2024
Illustrations : Thierry Manes

 

Nellie et son petit singe Nao embarquent à bord d’une montgolfière pour faire le tour du monde.
Dans chaque paysage, une couleur règne : les jeunes lecteurs doivent être attentifs aux détails pour découvrir les animaux qui se cachent dans le décor !

 

 

 

Éditions Lire c’est partir ici

  

Anomalies de l’humanité, de Jeremi Sauvage

Anomalies de l’humanité et autres histoires dérangeantes, nouvelles et poèmes, les Éditions du Désir, septembre 2024

 

Le fil rouge de ce recueil de 16 nouvelles est la question des « anomalies », des « aberrations », propres à notre monde, souvent en lien avec le milieu universitaire. Aux frontières du fantastique, de l’étrange et du bizarre, les textes sont tous en lien avec l’actualité d’une manière ou d’une autre. Les nouvelles sont présentées dans une progression alternant humour et dramaturgie, toujours aux carrefours des aspects étranges de nos vies et de nos sociétés, avec beaucoup d’intertextualité et de références à divers niveaux.

 

EXTRAIT (1ère page)

 

– Voilà pourquoi ceux qui ont survécu sont coupables. Ils sont des anomalies de l’humanité. Merci pour votre attention.

*

Mon nom est Ajna Singh et je dois écrire mon histoire car je ne sais pas de quoi mon avenir sera fait, ni même si j’aurai un avenir. Je ne sais pas non plus comment réagira la partie de ma famille qui vit à Bricklane, London Tower Hamlets, et j’ai bon espoir que mes cousins restés à Delhi n’entendront jamais parler de ce que j’ai découvert récemment. Je vais soutenir ma thèse de médecine demain. Mais mon superviseur, après une longue hésitation, m’a fait comprendre que le huis-clos sera obligatoire, eu égard aux conclusions de mon travail. Aucune communication sur le sujet, pas de public, un titre large (Étude épigénétique chez les enfants atteints de leucémie myéloïde chronique), un résumé volontairement évasif…

Mes parents m’avaient prénommée Ajna en pensant que la Nature me doterait de ce fameux troisième œil du Chakra. Je ne suis pas certaine de bénéficier d’un don ou d’un pouvoir qui fait de moi une personne exceptionnelle, mais j’ai l’impression d’avoir toujours voulu être Médecin, d’aussi loin que je puisse m’en souvenir. Soigner, aider, comprendre… les trois préceptes de mon enfance. Quand on grandit à Bricklane, au risque de choquer une certaine bien pensance, je vous jure que l’on part avec un sacré handicap sur le plan de la réussite scolaire. Mais je garde comme motivation toutes les insultes que […]

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Du Fol Amour à la Grâce, de Régine Nobécourt-Seidel

Du Fol Amour à la Grâce, poésie, éditions Constellations, juillet 2024
Encres et aquarelles sur papier de JAPA (Jacqueline Lou Pâris)

 

Amour, Fantaisie Humour vibrent à l’unisson dans les premiers poèmes du recueil. C’est « Aimer la vie », la chanter, la provoquer, dans une continuité du recueil précédent Eros en rit encore !

« Et puis la Grâce » invite à une redécouverte de soi, de l’autre. Les problématiques actuelles y sont palpables. Mémoire mêle Passé, Imaginaire, Conscience, Inconscience comme pour secouer en chacun de nous ces poussières d’étoiles qui font Vie et Lumière.

 

 

EXTRAITS

De la source à la mer

L’eau que j’ai bue dans tes paumes était toujours fraîche
L’eau que j’ai bue à ta bouche était source de mes rêves roses et bleus
L’eau que je lape sur ta peau, sale le vert de mes nuits
L’eau qui s’évapore de nos corps nous emporte toujours trop loin
Mais c’est l’eau de mes larmes qui dessèche mes joues
Qui assèche mon cœur et a noyé mon bonheur
Éteint le feu de mes yeux
Quand dans l’eau putride de marais fangeux
Des amours sans lendemains
Tu as définitivement perdu ton âme.
Il paraît que c’est l’eau bénie par le prêtre qui lave
Tous les péchés de la Terre. Croire encore en elle !
Qu’importe tout cela aujourd’hui
Puisque je n’oublierai jamais l’eau du fleuve de mon enfance
Eau douce-amère tant lourde du passé.
Eau si lourde de mes ancêtres
Eau, dernier berceau de tant de jeunes hommes
Ô tous ces hommes venus du monde entier, tous ces sangs mêlés
Ô fleuve tranquille qui a bercé mes peines, recueilli mes chagrins au chanvre de
tes berges
Ô fleuve qui a guidé mes premiers pas et donné sens à ma vie
Ô fleuve tu couleras jusqu’à mon ultime nuit en mes veines au sang trop rouge
Jamais je ne t’oublierai, crois-moi, parce que toi tu es Amour, le vrai !

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Danse avec les vivants, d’Amélie Louis

Danse avec les vivants, roman, éditions Hello, juillet 2024

Et si nos choix de vie étaient dictés par les désirs familiaux ? Et si le libre arbitre n’était qu’une illusion ?
Annie vient au monde après la mort de jumeaux. Comment les remplacer ? Elle s’évade du poids d’avoir à consoler ses parents grâce à l’imaginaire.
Dans la ferme familiale, le songe côtoie la violence larvée qui sclérose le couple parental. Bientôt la mort rode dans son cœur d’adolescente. Il faut une tornade pour choisir la vie, ce sera la maternité. Mais ses amours tournent court, sa vie effrénée est une fuite, sa passion d’enfance pour l’écriture reste dans l’ombre. Quand elle prend conscience que des non-dits familiaux lui imposaient ses choix, elle fait le premier pas vers sa liberté d’être…

Ce roman entraînera le lecteur à revisiter son histoire et à redécouvrir ses racines familiales.

 

EXTRAIT

Cet été-là, un endroit te fascine, le pré de la Mouille. Il tient son nom d’être coupé en deux par un bosquet humide. Récemment, tu as entendu dire par ton père que les broussailles recèlent une cavité dont plusieurs longues perches mises bout à bout n’ont pu toucher le fond. Il est interdit de descendre seule aussi loin sur le chemin, mais dès que la surveillance se relâche, tu y cours en frôlant de la main une frénésie de marguerites et de coquelicots. Haletante, tu t’appuies à la barrière.

Les grandes personnes n’en savent rien, mais assurément, sous le fouillis de ronciers dont tu étudies l’imbroglio en caressant des hallucinations, il existe un passage secret qui mène au pays des merveilles. Là-dessous, il y a des corridors ourlés de fleurs qui parlent et des champignons magiques, peuplés de chenilles qui fument et, tout au bout, un grand jardin où Alice t’attend. Oui, elle t’attend, car tout ce que tu cherches te cherche aussi, tu le sais.

Mais de blanc, pas de lapin, juste le poil luisant d’un énorme taureau tout en muscles qu’on a isolé là du reste du troupeau. Il semble toujours furieux, s’arrête de ruminer lorsque tu approches de la barrière et, si tu restes trop longtemps à le regarder, il se met à gratter le sol. Nombre de fois, tu t’es promis, lorsque l’atrabilaire serait occupé ou endormi, de rejoindre Alice avec qui tu as partagé mille aventures avant de t’endormir. Sous le soleil vertical de ce début d’après-midi d’été, le colosse est de l’autre côté du pré, cou tendu vers le mystère sauvage de la forêt qui délimite la propriété. C’est maintenant ! Il faut escalader la barrière faite de rondins lisses sur lesquels on a cloué des planches en diagonale. Ni adhérence ni point d’appui horizontal pour tes sandales. Tu t’agrippes aux planches qui meurtrissent tes paumes. Une sourde incertitude t’envahit à chaque glissade, tu te cramponnes. Tu poses enfin une main sur le rondin supérieur, l’autre la rejoint. Le ventre en appui, les bras serrés autour du cylindre lustré par le temps, tu parviens enfin à te hisser à califourchon au sommet. Alors que tu te concentres pour sauter de l’autre côté sans te tordre les chevilles, tu vois le colosse foncer dans ta direction.

La soupe de Potofeu, de Marie-Hélène Lafond

La soupe de Potofeu, album jeunesse, éditions CuiCui jeunesse, juillet 2024
illustrations Louki Soprano

 

 

À minuit, Potofeu, une sorcière farfelue, s´introduit dans les chambres des enfants pour voler leurs doudous. Son plan est d´en collecter cent pour en faire une soupe délicieuse. Mais ce soir-là, alors qu’elle vient chaparder le centième doudou, elle est surprise par un petit garçon bien éveillé.

 

 

EXTRAIT

– T’es une voleuse ?
– Bien sûr que non !
– Alors pourquoi ?
– Pourquoi quoi ?
– Pourquoi tu veux voler mon doudou ?
– D’abord je ne le vole pas. Je te l’emprunte.
– Parce que tu vas me le rendre ?
– Évidemment !
Comme le petit garçon fait la grimace, Potofeu ajoute :
– Il m’en faut 100.
– 100 quoi ?
– 100 doudous !
– Et pourquoi il en faut 100, des doudous ?

Les Amoutous, de Pierre Ech-Ardour

Les Amoutous, recueil de poésie, L’An Demain éditions, juillet 2024
illustrations Christine Puech

Ce recueil est une allégorie de l’Étang de Thau aux féminines et spatiales transmutations. Il témoigne de mon amour pour ce site localisé au lieu-dit les Amoutous sur la commune de Mèze et est dédié à mes lagunaires amours.

 

EXTRAITS

S’épanouit ton visage
à l’orée du ciel,
me porte ton sourire
sur le nœud coulant
d’une amarre à tes lèvres,
pour apaiser la soif du baiser
secrète irrigue l’eau le feu
du sable au pied de mon exil

Me ramèneras-tu
depuis les apothèmes
de tables à la berge
balayée de passion
où loué le Vivant
abreuve tes paroles ?

————-

Sur la ronde de lumière
s’estompent mes mots
nourris de Magistrau *,
dans la langue du silence
inexprimable le temps
féconde une parole

Contre le vent un peu plus
chaque jour point du nadir
ivre l’obscur œil d’exode

Qui parle ainsi à ton visage entiché ?

* Magistrau : Vent de terre, soufflant de Nord-Ouest.

Ramenez-les à la maison, de Pierre Ech-Ardour

Ramenez-les à la maison, poèmes, collection Étincelles du Levant, éditions Levant, juin 2024 (illustration Ruban Jaune)

 

Après l’ignominie terroriste du 7 octobre 2023, Pierre Ech-Ardour a participé du 25 février au 8 mars 2024 à une mission volontaire organisée par l’Association Générations Gamzon. Cette mission s’est déroulée au centre éducatif de Nitzana, tout près de l’ancienne cité nabatéenne, située dans le sud-ouest du désert israélien du Néguev près de la frontière égyptienne.

Il est présent à Tel Aviv sur la Place des Otages avec familles et sympathisants. C’est pour se rapprocher des vivants, car les otages sont bien de ce monde, qu’il a pris l’initiative du présent recueil pour témoigner que les otages sont toujours vivants. Ce recueil leurs est dédié. Il exprime une expérience inoubliable d’un présent tragique qui ne peut être oublié : Am Israël Haïm ! עַם יִשְׂרָאֵל חַי. « Le peuple d’Israël vit ». Le jour arrivera, parce que nous avons foi en la vie et l’espoir, et nous pourrons apprendre à dialoguer.

 

EXTRAITS

Ne plus connaître le monde
du trésor maintenant morcelé,
intime ronge le désastre
matinales vos ombres arrachées

Vers l’ailleurs des poussières
aux regards malfaisants
tendues sans obole implorent
vos mains un retour,
se nouent souffrances et destins
en la spirale d’espérance
et soufflent sur le malheur
la cruauté et vos blessures

Enfants de la Terre promise,
dans le suspens du dénouement
brûle l’effroi vos innocences

———————————–

Comme un poème écrit au mur
chaque aube prononce une syllabe,
étire le temps de tous les instants,
comme si rien ne se passait
en l’infinie déchirure des jours

Seule mutique la musique
clôt son cercueil de lumière
Renaîtront à Reïm[1] et en Israël
multiples des Tribe of Nova
quand tous nous danserons !

[1] Lieu où se déroula le festival de musique Tribe of Nova, où 364 personnes furent le 7 octobre 2023, assassinées par les terroristes du Hamas. Sur les champs où les victimes ont été massacrées, sont depuis plantés des arbres avec la photo d’un défunt posée au pied de chaque arbre.

 

La découverte de Xénon, de Raymond Alcovère

La découverte de Xénon, nouvelle, éditions Gros Textes, juin 2024
Couverture : Laure Scheffel

 

Dans des temps très anciens, le village de Guayaquil vit heureux, à l’écart du monde, entouré d’une zone marécageuse apparemment infinie et infranchissable. Un jeune homme du village rêve d’aller voir derrière, d’aller explorer le monde. En cachette, il fabrique une aile pour tenter l’aventure. Il ne sait pas que son désir correspond à une prophétie du village ; il obtiendra l’autorisation de partir, découvrira d’autres mondes mais devra aussi affronter de terribles épreuves…

 

 

EXTRAIT

Soudain, le vent semble avoir forci ; tout à l’effarement devant cet univers nouveau, il en a oublié sa direction, et poussé par l’alizée, toujours suivant le fleuve, sous lui, maintenant, gronde une rumeur sourde, un mugissement terrible dont il ne comprend pas la cause. D’où monte le vacarme, un nuage flotte, en suspension. Le rythme des flots s’accélère en même temps que le bruit. Les ailes gorgées d’eau pèsent sur ses muscles, elles offrent moins de résistance au vent. Le voilà noyé dans un nuage. Et puis, horreur, à la sortie, à ses pieds, soudain, le vide : une gigantesque cataracte.

Les Olympiades truquées, de Joëlle Wintrebert

Les Olympiades truquées, roman, collection Les Poches du Diable, Au diable Vauvert (réédition), mai 2024

 

Dans un avenir proche où le clonage humain et les manipulations biogénétiques sont désormais courants, les Jeux Olympiques sont à la fois vitrine et métaphore de la puissance humaine : champions et championnes doivent vaincre à tout prix, quelles qu’en soient les conséquences…

Deux jeunes femmes, Sphyrène, championne de natation, et Maël, clone d’une compositrice virtuose, affirment pourtant, envers et contre tous, leur droit à la liberté et au respect de leur corps et de leur vie de femme. Rien ne les arrêtera.

 

 

EXTRAIT

Il y a cette rotonde incroyable, pierres apparentes et tentures de velours écarlate chamarré d’or. Sur et devant les murs est alignée comme pour une parade une collection d’instruments et d’appareillages destinés à des plaisirs sadiques.
Et puis, vautrés dans leurs sofas noirs, tous ces hommes, vêtus de toges rouges, qui me regardent. Pas de femme. Si, une, au fond de la rangée, là-bas. Mais est-ce bien une femme ?
J’ai le trac. Je sais ce que je dois faire. Comme d’habitude. Facile à dire. Je ne connais pas cette Loge et mes mains tremblent. De peur. De faim aussi. Cela fait une semaine que je lutte pour échapper à l’engrenage, et sans représentation, pas d’argent.
Pourtant, ce n’est pas la faim qui m’a conduit en ces lieux. Non. C’est cette soif éperdue d’une dépense physique exaltée par la souffrance. Et je ne peux plus la trouver ailleurs, désormais.
Malgré moi, je frissonne. L’espace d’un instant, saisi d’une incoercible envie de fuir, je crois que je vais me ruer vers la sortie ; évidemment, je me domine. La peur fait partie du jeu.
On ne fait pas attendre les Sadmas. C’est une règle absolue. Un contrat accepté doit être honoré, sans temps mort, sans retard.
Lentement, comme on me l’a appris, je me coule hors de mon peignoir, exhibant l’un après l’autre chacun des muscles qui transforment mon corps amaigri en un arbre noueux. Puis je m’approche de l’estrade où m’attend ma « victime ». Un hors-d’œuvre, l’homme est incroyablement efflanqué.
Le silence se fait dans la salle tandis qu’un roulement de tambour annonce ma prouesse.
Les organes génitaux de l’homme sont déjà très étirés. Je n’ai aucun mal à m’assurer une prise solide sous les testicules et à hisser le malheureux à bout de bras, d’une seule main.
Des applaudissements me saluent. Mais le spectacle ne fait que commencer. Je sais que les corps à soulever seront de plus en plus lourds. Je sais que je devrai bientôt mobiliser tout mon apprentissage d’haltérophile. Voilà pourquoi je continue à hanter les loges des Sadmas. Je veux me prouver, contre l’Institution qui m’a rejeté, que je suis capable d’améliorer encore mes performances.
Quand arrive le clou de la soirée, un homme énorme, obèse, qui doit bien peser deux cents kilos, j’hésite. Un voile rouge aveugle mes yeux, ma tête est en feu, mes muscles si contractés qu’ils sont agités de spasmes incontrôlables. Les huées de mon public me remettent en selle.
Pinçant au hasard dans la masse de chair de mes mains transformées en tenaille, j’arrache mon partenaire qui couine son plaisir douloureux. Je le maintiens en l’air une seconde, au-dessus de moi.
Brusquement, c’est comme si le dernier ressort qui me tenait tendu lâchait. Je m’effondre. L’haltère vivant m’écrase.

Lorsque les Sadmas eurent retourné le corps du sportif déchu, ils constatèrent, dépités, que l’expression pacifiée de la mort suppléait la grimace de souffrance qu’ils s’attendaient à déchiffrer sur les traits de l’homme.

 

C’est curieux j’ai le trac, de Danielle Helme

C’est curieux j’ai le trac, suivi de, ça, c’est permis, poésie jeunesse, éditions Via Domitia, avril 2024.
Préface de Paul Fournel, président de l’Oulipo.
Illustrations de Mick Elli.

 

C’est curieux j’ai le trac : Dès que je suis à l’oral, j’ai un trac panique, je bafouille, je cherche, je me fouille le cerveau, je sèche c’est automatique… automatique. Je n’ai qu’une hâte m’enfuir c’est logique. Jusqu’à l’évasion dans l’écriture pour à nouveau goûter les mots. Ce soir, j’écris, je m’isole, m’envole, mon langage est mon porte-parole. En fait, je sais, comment l’écriture m’emporte, emporte, emporte, avec tout ce qui m’importe.  

La différence de l’enfant lui permet finalement de passer à l’action. Un livre qui met du baume au cœur de tous les hypers sensibles, traqueurs.

Ça, c’est permis ou plaisir du double sens, plaisir sonore. S’amuser dans l’insouciance de l’innocence avec les jeux de l’enfance, ses joies, ses peurs, du cauchemar louche, au chat narquois, et du feutre indélébile, la réussite aux échecs et du cerf-volant.

Les illustrations de Mick Elli par son flair et son inventivité s’associent à merveille, à chaque double-page. Ce sont des micro-évènements dans lesquels le fantastique naturel du quotidien existe. L’ouvrage est lisible, dès 9 ans et sans limite d’âge. Lire la suite…

Ô Karim, de Janine Teisson

Ô Karim, roman noir, éditions Chèvre feuille étoilée, mai 2024

 

Karim a 18 ans. Sensible, sportif, il prépare son bac quand soudain son destin bascule. Racisme ordinaire, injustice, prison infestée de drogues, intégrisme musulman vont se liguer pour le détruire. L’amour de sa sœur Halima, interne aux hôpitaux de Montpellier, de sa mère, de Céline la bibliothécaire, de Ted Leouf son ami graffeur n’y pourront rien.

Tout au long de ce roman qui commence par une tentative de meurtre, Halima, prise en tenailles entre intégristes moyenâgeux et nervis d’extrême-droite, exprime la douleur, la colère, le courage et la résistance d’une jeune femme qui croit dans les valeurs de la République et mène sa vie comme elle le décide.

 

EXTRAIT

Ô Karim, tu es parti en emportant un énorme morceau de ma vie, est-ce que tu le sais ? Quant à maman, j’ai peur que ce soit son âme…

Les policiers ont pris la boite à chaussures bleue qui contient tes souvenirs. Quand le plus âgé a plongé sa main dedans, j’ai eu envie de crier : « Vous n’avez pas le droit ! » Mais oui, ils l’ont. Des photos de classe, des Pokémon, un scoubidou, quelques cartes postales, le cahier rouge que Céline t’avait offert pour que tu y notes des poèmes et ton petit carnet de proverbes que tu avais commencé en CM2. Il l’a feuilleté. L’espoir fait vivre. Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Au collège tu as continué avec des citations : Gardez-moi de mes amis, quant à mes ennemis je m’en charge. (Voltaire). Mais toi, tu n’as su te garder de personne. Tu as grandi avec des garçons qui, à partir de douze ans, ont commencé à se prendre pour des caïds, qui méprisaient les filles, qui n’apprenaient plus en classe sous prétexte qu’ils ne voulaient pas obéir à des femmes, et les profs sont presque toutes des femmes.

/…./ Je voulais que tu sois moderne. Républicain. Féministe même. Je voulais que tu sois « L’Arabe idéal du vingt et unième siècle ». Beau, sportif, intelligent, pas sexiste, en marche vers de belles études, un beau métier. Ô Karim !