Gaia enquête au vert. Or et poison provoquent des disparitions (tome 3), d’Aurélie Ribière

Gaia enquête au vert. Or et poison provoquent des disparitions, tome 3, policier (cosy mystery), éditions Alter Real, février 2025

Marion a disparu. Après avoir accepté un poste en Guyane, elle ne donne plus de signe de vie. Morte d’inquiétude, Gaia se résout à laisser son chien adoré à Tristan et, accompagnée des deux habitants les plus irritants de Sainte-Marie, à traverser l’océan à la recherche de son amie. S’accrochant au moindre indice, ils vont suivre une piste qui va les mener du carnaval de Cayenne jusqu’au fin fond de la forêt amazonienne, un périple jalonné de disparitions et… de décès. Entre trafiquants de drogue, orpailleurs, sauts mortels et animaux sauvages, survivront-ils à ce voyage de tous les dangers ? Parviendront-ils à comprendre à temps où se trouve Marion ?

EXTRAIT


            À la descente de l’avion m’assaillit un problème auquel je ne m’étais pas attendue. Je reçus comme une claque l’air chaud et moite qui pesait sur le tarmac détrempé de l’aéroport. Avec une température moyenne de 26 °C, même en hiver, j’avais anticipé ma réaction à la chaleur, mais rien ne m’avait préparée à l’humidité ambiante, qui avoisinait les 90 %. Nous étions à la fin de ce que l’on nomme « la petite saison des pluies » et l’atmosphère était saturée d’eau. J’eus l’impression qu’elle était devenue épaisse, compacte, presque solide. Elle pesait de tout son poids sur mes frêles épaules, sur ma tête qui dodelinait et sur mes membres. On eût dit que j’avais pris des dizaines de kilos en quelques secondes ou qu’un éléphant venait de s’installer confortablement sur mon dos. Si Tristan m’avait, pour mon plus grand plaisir, comparée à Athena le mois dernier, je me reconnaissais à cet instant plutôt dans le malheureux Atlas, condamné à porter la voûte céleste sur ses épaules pour l’éternité. Et le poids de la voûte céleste était effarant ! Ici plus que partout ailleurs. Tout mouvement me coûtait. Oui, bon, d’accord, me coûtait beaucoup plus que d’ordinaire ! En un rien de temps, je suffoquai. L’air brûlait mes narines, s’accrochait à ma trachée et refusait de pénétrer dans mes poumons ou alors il avait décidé, sans préavis, de s’arrêter aux bronches principales. Je compris enfin ce que j’avais lu sur les climats tropicaux. Les vers de Baudelaire, qu’il avait pourtant écrits dans des circonstances presque opposées, me revinrent en mémoire :

            « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle sur l’esprit gémissant […] »

            Là, tout en moi gémissait, l’esprit comme le corps. L’air humide augmentait non seulement la sensation de chaleur, mais il était aussi plus difficile à respirer. La vapeur d’eau évinçait une partie de l’oxygène de l’air et il me fallait donc fournir un effort supplémentaire pour inspirer la quantité habituelle. Mon corps regimbait même pour descendre les quelques marches de la rampe de débarquement, mon cœur battait avec lourdeur, comme englué dans un liquide épaissi par l’hypoxie, mon diaphragme se contractait convulsivement dans sa vaine recherche d’oxygène. Ma peau s’était presque aussitôt recouverte d’une fine couche de sueur collante qui refusait de s’évaporer. Et le soleil se couchait… Qu’en serait-il à son lever ou à midi ?

            Argh. Je ne vais pas survivre ici. Je suis une créature des zones tempérées et du brouillard, pas des moiteurs équatoriales.

            Poupou se retrouva à mes côtés. Le visage ruisselant, il tira sur le col de sa chemise à carreaux des grandes occasions.

             — Putain ! On étouffe ici !

            Exactement ce que je pensais !

            Enfin, exactement ce que je pensais tout bas… Nonna se plaça à ma gauche. Elle écarta les bras dans l’espoir de créer un courant d’air entre son corps et ses vêtements et s’écria avec son élégance habituelle :

            — Pouah ! Il fait une chaleur à crever. J’ai déjà les rideaux qui collent aux fenêtres !

            Pas tout à fait ce que je pensais, mais pas loin.

            En tout cas, malgré la vulgarité de son expression, je comprenais très bien ce qu’elle voulait dire.

PETITE NOTE SUR LE COSY MYSTERY

Le cosy mystery, what is it ?

                Le cosy mystery appartient au genre des polars ou romans policiers. Il est proche du « whodunnit » ; avec quelques règles particulières supplémentaires, et trèèèèèèèèèès éloigné du thriller. C’est un roman policier léger qui mêle suspense, humour et souvent un brin de romance. Il est reconnaissable à ses couvertures la plupart du temps très colorées et à ses titres souvent adeptes de jeux de mots.

                J’aime bien le nommer « polar rose » car cela rappelle l’humour tout anglais qui naît de la confrontation de deux termes contradictoires que l’on trouve dans « cosy mystery » ou encore « cosy crime » et « cosy murder ». Les Anglo-saxons n’ont pas peur de rapprocher des mots qui évoquent le crime, le meurtre, le mystère, le suspense de l’adjectif « cosy », douillet, confortable, qui, lui, conjure des images de cheminée au coin du feu, de plaid et surtout de théière qu’un joli tissu recouvre et tient au chaud. C’est tout le sel de ce genre !

                Le cosy mystery naît en Angleterre. Il est le digne héritier des romans d’Agatha Christie et de Patricia Wentworth. M.C. Beaton avec son héroïne Agatha Raisin en est sans doute la représentante britannique la plus célèbre. Ce genre traverse ensuite l’Océan Atlantique, tout comme MC Beaton, pour arriver aux Etats-Unis où des auteurs comme Joanne Fluke et ses enquêtes d’Hannah Swensen le développent et le modifient. Il revient en Europe par l’intermédiaire des traductions des romans de M.C. Beaton aux éditions Albin Michel à partir de 2019. Il connaît un engouement tel qu’aujourd’hui des séries d’enquêtes fleurissent dans de nombreux pays européens, pour ne pas dire dans tous : Allemagne, France, Italie, Pologne, etc. Les nombreuses adaptations télévisées, sur les plateformes de streaming, voire au cinéma, ont contribué à la popularisation du genre.

                Alors que le terme n’était pas encore utilisé, Agatha Christie est reconnue comme la pionnière de ce genre, en particulier dans les enquêtes de Miss Marple, car elles rassemblent tous les critères qui le définissent.

L’enquêt…rice

                L’enquêteur est souvent une enquêtrice amatrice qui se retrouve impliquée malgré elle dans une ou des enquêtes criminelles. Cela permet d’avoir des personnages très variés, à la fois dans leur âge (autant des adolescentes que des personnes âgées, des jeunes femmes ou des quinquagénaires) et dans leur catégorie socio-professionnelle (pâtissière, libraire, agence de pub, agence de rencontre, etc.), et auxquels il est très facile de s’identifier. Ce sont des individus ordinaires.

Le cadre

                Les cosy mysteries se déroulent dans des petits villages ruraux (les Cotswolds anglais en sont un lieu de prédilection, par exemple avec les Détectives du Yorkshire de Julia Chapman) ou dans des communautés très liées où tout le monde connaît tout le monde (Londres des années 1930 dans l’upper class pour les romans de Rhys Bowen avec Son espionne royale, Berlin des années 1920 pour Anne Stern et sa « Fräulein Gold »). Le hameau de Miss Marple en est emblématique. Ce cadre bucolique qui cache de sombres histoires symbolise parfaitement l’esprit cosy mystery. Il est à la fois enchanteur, agréable, donc « cosy », mais laisse la porte ouverte au mystère.

                Les personnages secondaires jouent un rôle important. Ils sont attachants, parfois loufoques, voire complètement déjantés. Ils contribuent à la légèreté du genre en y apportant une pointe d’humour et donnent envie au lecteur de se replonger dans cet univers. C’est un environnement dans lequel on se sent bien. Les cosy mysteries se déclinent d’ailleurs fréquemment en séries.

L’enquête

                Bien que le point central de chaque histoire se trouve évidemment être un crime ou un meurtre, nous sommes dans un roman policier tout de même !, le cosy mystery est débarrassé de violence graphique. Les mobiles des crimes sont la plupart du temps psychologiques (jalousie, envie, vengeance, etc.) car les relations humaines se trouvent au centre de ce genre.

                Le cosy mystery connaît un immense succès et se renouvèle sans cesse. Pour ma part, je pense que sa réussite est due à la combinaison de plusieurs plaisirs : le plaisir intellectuel de l’enquête, le plaisir émotionnel du suspense qui reste maîtrisé (sans aller jusqu’à l’angoisse) et le plaisir régressif du cadre confortable et léger. Cette association ironique de deux termes contradictoires, le douillet et le meurtre, en fait toute la saveur.

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