Danse avec les vivants, d’Amélie Louis

Danse avec les vivants, roman, éditions Hello, juillet 2024

Et si nos choix de vie étaient dictés par les désirs familiaux ? Et si le libre arbitre n’était qu’une illusion ?
Annie vient au monde après la mort de jumeaux. Comment les remplacer ? Elle s’évade du poids d’avoir à consoler ses parents grâce à l’imaginaire.
Dans la ferme familiale, le songe côtoie la violence larvée qui sclérose le couple parental. Bientôt la mort rode dans son cœur d’adolescente. Il faut une tornade pour choisir la vie, ce sera la maternité. Mais ses amours tournent court, sa vie effrénée est une fuite, sa passion d’enfance pour l’écriture reste dans l’ombre. Quand elle prend conscience que des non-dits familiaux lui imposaient ses choix, elle fait le premier pas vers sa liberté d’être…

Ce roman entraînera le lecteur à revisiter son histoire et à redécouvrir ses racines familiales.

 

EXTRAIT

Cet été-là, un endroit te fascine, le pré de la Mouille. Il tient son nom d’être coupé en deux par un bosquet humide. Récemment, tu as entendu dire par ton père que les broussailles recèlent une cavité dont plusieurs longues perches mises bout à bout n’ont pu toucher le fond. Il est interdit de descendre seule aussi loin sur le chemin, mais dès que la surveillance se relâche, tu y cours en frôlant de la main une frénésie de marguerites et de coquelicots. Haletante, tu t’appuies à la barrière.

Les grandes personnes n’en savent rien, mais assurément, sous le fouillis de ronciers dont tu étudies l’imbroglio en caressant des hallucinations, il existe un passage secret qui mène au pays des merveilles. Là-dessous, il y a des corridors ourlés de fleurs qui parlent et des champignons magiques, peuplés de chenilles qui fument et, tout au bout, un grand jardin où Alice t’attend. Oui, elle t’attend, car tout ce que tu cherches te cherche aussi, tu le sais.

Mais de blanc, pas de lapin, juste le poil luisant d’un énorme taureau tout en muscles qu’on a isolé là du reste du troupeau. Il semble toujours furieux, s’arrête de ruminer lorsque tu approches de la barrière et, si tu restes trop longtemps à le regarder, il se met à gratter le sol. Nombre de fois, tu t’es promis, lorsque l’atrabilaire serait occupé ou endormi, de rejoindre Alice avec qui tu as partagé mille aventures avant de t’endormir. Sous le soleil vertical de ce début d’après-midi d’été, le colosse est de l’autre côté du pré, cou tendu vers le mystère sauvage de la forêt qui délimite la propriété. C’est maintenant ! Il faut escalader la barrière faite de rondins lisses sur lesquels on a cloué des planches en diagonale. Ni adhérence ni point d’appui horizontal pour tes sandales. Tu t’agrippes aux planches qui meurtrissent tes paumes. Une sourde incertitude t’envahit à chaque glissade, tu te cramponnes. Tu poses enfin une main sur le rondin supérieur, l’autre la rejoint. Le ventre en appui, les bras serrés autour du cylindre lustré par le temps, tu parviens enfin à te hisser à califourchon au sommet. Alors que tu te concentres pour sauter de l’autre côté sans te tordre les chevilles, tu vois le colosse foncer dans ta direction.

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