Couvées de filles, nouvelles, Au diable vauvert, octobre 2023
Illustration de couverture : Philippe Caza
Voyages dans des mondes parallèles, arches écologiques, créatures charnelles séductrices, grenier hanté, cités mystérieuses ou futures, sociétés matriarcales, transferts de corps : seize nouvelles représentatives d’un long parcours d’écriture.
EXTRAIT de la nouvelle intitulée Crépuscule
Debout. Droite au milieu du champ. Pieds nus dans l’herbe, éprouvant sa douceur printanière et humide. Ses jambes écartées s’enracinent. Son vieux cœur exténué bat en harmonie avec l’infime vibration de la terre. Le soleil la tient. Par bouffées, le Cers la bouscule, chargé d’arômes. L’odeur verte des pins s’y mêle à l’or sucré des fleurs de coronille. Elle hume fort, se dilate, ses bras s’élèvent…
Ses mains, ses noueuses mains que prolongent les longues rémiges fixées à ses poignets dansent autour d’elle un étrange ballet de signes. Puis le mouvement s’amplifie, s’accélère, elle s’est dressée sur la pointe des pieds comme pour un envol, enfin son cou se casse et de son visage tendu vers la nue part un cri miaulant qui s’étire.
« Ouièèh ! » répond la nue.
Elle sourit, extatique, quand elle sent passer sur ses yeux clos l’ombre du prédateur qu’elle vient d’appeler. Les années s’effacent de ses traits, ses doigts dessinent les graphes de sa jeunesse et quiconque la regarderait en cet instant jurerait qu’il lui pousse des ailes.
Bientôt, ses membres se tétanisent. Merveille, une fois de plus, de vivre ce miracle, quitter la vieille enveloppe de chair, partager le corps accueillant du rapace et chevaucher le vent…
Elle s’élève, ivre de liberté, au-dessus du petit théâtre de sa vie, joies et deuils, la solitude désormais, les murs qui se délabrent à son image mais dont les pierres centenaires sont fées, les champs démis de leurs vignes et que repeuple une jungle d’ajoncs, de genêts et de pins, la terrasse aux murets effondrés où le verger se meurt.
Sauvagerie. Son cœur se serre. Jadis elle aurait aimé ce désordre. Aujourd’hui, elle n’y voit plus qu’un douloureux chaos.
Joli passage (dans tous les sens du terme).
et quelle magnifique couverture !