ciel déchiré, après la pluie, récit, éditions L’Amourier, juin 2019
Un homme fuit. Plus loin on le désignera homme qui marche. Mais maintenant (c’est le premier mot du livre, écrit comme ça, sans majuscule, un maintenant qui n’est donc pas un début) un homme fuit, rampe dans la neige, s’accroche comme il peut à sa survie. La langue elle-même est en fuite avec pour seule ponctuation des barres obliques (/) que l’on dit aujourd’hui slash. Des juxtapositions plutôt que des ruptures. Les gestes juxtaposés d’un corps menacé. Qui fuit. Un corps qui n’a pas d’autre nom que ce mot : weg – mot que le peu d’allemand que l’on sait (et le texte le confirmera bien plus loin) renvoie au mot chemin, et à ce geste de la main pour faire dégager ce qui gène : weg ! casse-toi ! bouge de là ! Le nom d’un homme (corps/pensée/sang/ écoute) qui a été chassé et se retrouve maintenant sur ce chemin de fuite. On est en guerre. On plutôt en guerres (vieilles guerres, 1 titre le premier chapitre.) On entre dans ces guerres. Temps et espaces de guerres. Où ? Le nom de l’Europe sera mentionné à quelques reprises. Mais l’époque ? Maintenant. Après la fin du monde. Nous sommes dans ce maintenant d’après la fin du monde. Hier-aujourd’hui-demain. Un monde de survivants. Mais tout aussi bien, alors, un monde de premiers venus.
(extrait d’un article de Michel Séonnet)
Ciel déchiré, après la pluie a tout d’un récit d’anticipation. Il y a eu une guerre. Quelque chose qui ressemble à la fin du monde. Des hommes. Des femmes. Des enfants font entendre leur voix.
Est-ce le temps de l’anéantissement total ou celui des recommencements ?
La langue puissante et tendue de Michaël Glück nous entraîne à la suite de ses personnages dans une méditation errante sur ce qu’il reste d’humain en l’homme par temps de désastre et la place que tient le langage dans sa survie.
« Après qu’il a claqué la portière derrière lui, il a crié et il s’est effondré. J’ai entendu tomber un corps. Le sien. Parce que je n’ai entendu qu’une voix, je dis un corps, le sien, parce que je n’ai entendu qu’un pas sur le ballast, je dis le sien. Parce que je n’ai plus rien entendu après, je dis un corps, le sien. J’ai d’abord pensé à un bagage, le bruit d’un ballot jeté sur la plateforme eût fait un bruit pareil à celui de la chute d’un corps, avec toute cette pluie qui doit alourdir la terre et les hommes, ce qui reste des hommes. La confusion eût été possible. Si longtemps que tombe cette pluie. J’ai songé aussi qu’il aurait pu balancer un autre corps, qu’il aurait jusqu’alors porté sur son dos tant son pas, par lequel j’avais perçu son arrivée, avant même qu’il ne frappât contre la vitre, m’avait paru accablé, corps d’un blessé ou celui d’une femme dont il aurait voulu, par ce temps, soulager la peine. Non. Il est seul. »