Journée de formation organisée par LR2L à Perpignan le 16 juin 2014. Intervention de Marie-Laure de Noray-Dardenne
Les métiers du livre et la formation
La formation et les auteurs… C’est un peu le bât qui blesse.
Je vais jouer à contre-emploi, comme on le dirait d’un acteur, en structurant mon petit topo comme un économiste ou un marketingueur le ferait : autour de l’Offre et de la Demande. La demande avant l’Offre.
La demande, donc :
On va parler de besoin plutôt que de demande ; ce sera moins frustrant… parce que les demandes des auteurs ne sont écoutées que quand ceux-ci peuvent montrer patte blanche (on le verra plus loin).
Quels sont nos besoins ?
Vastes, bien sûr. Par définition, l’auteur n’est formaté ni par des études spécifiques, ni par des caractéristiques intrinsèques communes. C’est un « secteur » où les profils et les parcours sont étonnamment divers et cela contribue à la richesse de la littérature.
Ce qui nous lie ? La passion, la pulsion, le goût d’écrire et la volonté de partager ce que l’on produit avec notre imagination, notre savoir-faire et nos petites mains.
Partant de là, les besoins en formation pour coller à la société telle qu’elle est aujourd’hui sont très vastes.
Quelques exemples :
L’auteur, « à la base » informaticien, ne sait pas forcément assez bien lire en public ou même s’exprimer en public à moins qu’il en ait le don.
Le prof de français, en activité ou retraité, ne sait pas forcément utiliser les outils du web pour écrire un blog. Comme on l’a vu ce matin avec Serge Bonnery, ce sont des productions « à côté » du livre, ou peut-être côte à côte, qui comptent aujourd’hui.
La socio-anthropologue, l’ancien maçon, ou l’infirmier ne comprend pas spontanément les droits et les démarches administratives intéressantes à mener pour lui.
Les exemples peuvent s’enfiler en un très long collier. Un collier qui pique.
On a fini la matinée par une belle séance sur la Charte des manifestations littéraires. On n’y a pas parlé des auteurs d’ailleurs. Bon. Et bien, pour participer à un événement littéraire un peu évolué – pas un salon de base avec brochettes d’auteurs en séries sur tables en série, souvent en rectangle comme ça on se tourne le dos –, donc à une manifestation « enrichie », l’auteur est amené à lire un extrait de son œuvre, ou bien à parler de ses lieux d’écriture, de son environnement (très à la mode, ça !).
Lire en public ? Ce n’est pas inné. D’ailleurs, aux lectures que Autour des Auteurs et LR2L ont organisées pendant la Comédie du livre, deux des auteurs ont demandé à ce qu’une tierce personne lise leurs extraits. Ils ne le pouvaient pas. Question de pudeur, mais aussi de formation.
Les droits, les retraites, les inscriptions par-ci par-là… ce n’est pas la tasse de thé de tous les auteurs. Loin de là. Mais on a besoin de savoir, même si on n’en a pas toujours l’envie.
Animer des ateliers d’écriture, que ce soit en milieu scolaire, auprès des personnes empêchées (comme on dit pudiquement) ou n’importe lesquels, histoire aussi de gagner un bout de croûte en restant dans le domaine de l’écriture… Et bien, ça ne s’improvise pas pour tout le monde. Il y a une pédagogie, des méthodes, des outils. Bref, un savoir-faire indispensable qu’il faut acquérir si on ne l’a pas déjà dans ses cordes.
On parle de plus en plus de performances d’écriture. Personnellement, je trouve cela très intéressant, mais peut-être qu’un jour ça nécessitera d’apprendre à lire en faisant le cochon pendu, ou encore d’écrire au laser sur la Voie lactée.
Les nouvelles technologies, l’édition numérique, l’écriture-blog, le livre-twitt… Il faut aussi savoir lire les avenants « numériques » aux contrats d’édition, trouver les vraies maisons d’édition numériques… Il faut comprendre, il faut apprendre aussi… surtout quand on devine la moyenne d’âge des auteurs. Et bien, elle n’est pas de 25 ans !
Je peux citer encore l’idée des feuilletons, super idée, qui sociologiquement tient bien la route, le lectorat s’y prêtera certainement. Mais côté auteur, ce n’est pas donné à tout le monde et je connais de très bons auteurs qui en ce moment s’arrachent les cheveux sur la manière.
En tant que membre engagée de l’association Autour des Auteurs (association qui couvre la région et compte près d’une centaine d’auteurs et de traducteurs de littérature), je peux vous dire que lorsqu’on fait des appels à besoin en formation, nombreux sont les auteurs-membres qui répondent et ils ne manquent pas d’idées.
Passons à l’Offre maintenant.
Un petit historique, d’abord.
Il y a 10 ans quand Autour des Auteurs s’est créée, on disposait d’un budget alloué par des institutions : la Région Languedoc-Roussillon surtout – normal, nous sommes une association à spectre régional. Donc Autour des Auteurs gérait et organisait ses formations avec « son argent ».
Puis est venu Languedoc-Roussillon livre et lecture, dont notre association d’auteurs a sollicité l’existence et a même participé activement à la création. LR2L nous le rend bien. C’est un beau partenariat, qui a, entre autres, très bien fonctionné pour la formation pendant 4 ans, prenant le relais de notre propre structure d’auteurs, puisque les fonds « Région » alloués auparavant à Autour des Auteurs étaient passés à LR2L (c’était le deal).
Les catalogues des formations et des journées d’information le montrent bien. L’offre était riche pour tous les auteurs correspondant à nos critères en commun : habiter dans la région et avoir édité au moins une œuvre à teneur littéraire à compte d’éditeur depuis 10 ans.
Puis, en 2013, comme nous l’a précisé Laurent Gomez, est venu le transfert à l’AFDAS de la gestion de la formation. C’est là précisément que les choses se compliquent pour nous, auteurs.
Rien à dire sur l’offre de l’AFDAS. Les formations sont particulièrement « pros » et utiles aux auteurs. Mais quels auteurs ? Les critères pour définir « l’Auteur » de l’AFDAS étant d’être affilié à l’AGESSA (la « sécu » des auteurs) qui elle-même exige pour cela un revenu en droits d’auteur d’environ 8000 euros par an, ou bien de pouvoir justifier d’un minimum de 9000 euros de droits d’auteurs durant les trois dernières années, le nombre de bénéficiaires potentiels devient tout à coup extrêmement bas.
Avec 8 % de droits d’auteurs sur des livres tirés à 1 000 exemplaires et vendus à 10 euros, il faut non seulement produire (c’est-à-dire écrire avec tout le travail créatif, documentaire, de relecture…), mais aussi trouver éditeur(s) qui veuille bien éditer 8 à 9 livres par an !
Prenons un auteur « moyen » (ce sera plus simple, je vais me prendre « en exemple ») : 10 livres édités entre 1000 et 5000 exemplaires, dont 6 en France, 1 en Suisse, et 3 en Afrique. Un bon mi-temps passé à tourner autour du livre, en amont et en aval : interventions, un peu de promotion, signatures en salon, ainsi que les engagements dans la représentation des auteurs (même si, bien sûr, c’est un choix tout à fait assumé)…. Et bien, je suis loin, loin d’avoir les droits d’auteurs nécessaires pour être affiliée à l’AGESSA. J’y suis assujettie bien sûr, parce que lorsque je touche des droits d’auteur, je participe, faiblement c’est vrai, à emplir les caisses de l’AGESSA… mais pas assez pour être « affiliée » (le Sésame !) et donc – depuis un an et quelques – pour bénéficier de formations qui me permettraient de « produire plus pour…. » selon le proverbe de ce début de millénaire.
C’est un état de fait. L’AFDAS à Montpellier (et vous en particulier, Laurent Gomez) est sensible au problème. Il faut dire que Languedoc-Roussillon livre et lecture a permis cette sensibilisation grâce à des ateliers mêlant bailleurs, formateurs, AFDAS et publics à former.
Mais pour l’instant, pas de solutions.
LR livre et lecture continue, du coup, à organiser des journées d’informations, c’est déjà ça, et les auteurs l’en remercient sincèrement. Mais on a besoin de vraies formations pour des approches d’écriture où le « marché » existe : scénario, écriture jeunesse, etc. Et bien sûr pour apprendre à maîtriser les nouvelles technologies concernant directement l’écriture.